La mode est une histoire de singe

Wilma est la star du refuge de chimpanzés de Nqimba, En Ouganda. Cette alfa-femelle, un véritable boute-en-train,  aime de temps en temps à se coiffer d'une peau de bananes. Aussitôt, toutes les jeunettes s'affublent-elles aussi de pelures. Immanquablement, les unes s'emparent des couvre-chefs des autres, et ça finit en bagarre générale. Mais les zoologues/éthologues de passage s’enthousiasment du spectacle : voilà la preuve que la mode est un comportement imitatif, « de conformisme ».

Grands couturiers et top models, qui déferlent en ce moment sur Paris pour présenter leurs collections, risquent de ne pas trouver la comparaison très valorisante. Quoiqu’après tout, ce ne soit que justice que les animaux qui payent  à la mode un si lourd tribut, en fourrure, cuir, ou écailles, aient ainsi leur petite revanche (1).

Ainsi, entre la chimpanzée qui se pavane sous son détritus et la bourgeoise qui court les soldes, n'y a-t-il pas de différence intrinsèque. Le même mécanisme est à l'œuvre, un mécanisme vraiment basique, le mimétisme, le désir atavique de faire comme les autres, juste un tout petit peu mieux. Avec l'intervention discrète de l'évolution, « qui sélectionne les tendances conformistes dans la mesure où elles contribuent à la survie » (2).

En quoi le choix d'un « petit ensemble » peut-il donc contribuer à la survie de l'espèce ? Hé bien, disons que le contenant peut rendre le contenu plus sexy, et donc plus à même de se reproduire. La sélection naturelle est coutumière de ce genre de manœuvres : la plupart des espèces se parent d’ornements apparemment inutiles, à seule fin de stimuler l'appétit du sexe opposé, et d'assurer la meilleure diffusion des gènes. Dans cette catégorie, il faut ranger les cornes des antilopes comme les plumes du paon, ou le pénis du mâle humain (quatre fois plus long que celui du gorille, sans qu'on puisse discerner aucune bonne raison biologique pour cela).

Mais il ne faut pas désespérer la Rive Gauche. L’imitation est en fait un acte culturel - on pourrait même dire l'acte culturel de base. Quand les singes se déguisent, ou qu'ils imitent leurs aînés en train de casser des noix ou de laver des patates, c'est bel et bien de la culture, pas de la proto-culture ni de l'infra-culture, car il s'agit d'une « transmission comportementale non génétique » (2). On serait bien en peine d'ailleurs de définir la limite, la « barrière dorée » comme dit Stephen Jay Gould, entre savoir animal et savoir humain. Il faut trois bonnes années à un chimpanzé convenablement doué de la forêt de Bossou, en Guinée, pour maîtriser la technique du cassage des noix d’eleis, des noix très dures, sur lesquelles on doit taper longuement avec deux grosses pierres en même temps. La tribu qui habite la même forêt utilise exactement les mêmes techniques, mais avec moins de succès. On s'interroge d'ailleurs sur la question de savoir qui, à l'origine, a copié sur qui.

On pourrait même prolonger l'argument. Des pans entiers de notre culture sont transmis aussi par imitation - au moins par imitation auditive. La transmission de bien des textes sacrés a souvent été opérée par récitation et mémorisation – voire par des moyens plus curieux, comme dans les écoles juives du moyen âge où on faisait lécher aux enfants des ardoises couvertes de miel sur lesquelles étaient inscrites les mots de la Bible. Et Alberto Manguel (3) rappelle que la scolastique médiévale a longtemps jugé que l'apprentissage par cœur d'un texte suffisait, car « la compréhension n'était pas indispensable à la connaissance ».


(1) http://www.bornfreeusa.org/adeux_fashion.php
(2) FransdeWaal - Quand les singes prennent le thé – Fayard
(3) Une Histoire de la lecture - Actes Sud

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