La saga des sagas
Publié dans le magazine Books n° 23, juin 2011.
Un matin d’avril 1971, 15 000 personnes affluèrent vers le port de Reykjavik, la capitale islandaise. Soit près d’un dixième de la population que comptait alors l’île. Parmi la foule, l’ensemble du gouvernement du pays et plusieurs ministres danois. Sous l’œil des caméras de la télévision nationale, qui retransmettait un événement en direct pour la première fois de son histoire, le navire danois Vaedderen faisait son entrée dans le port. À son bord, le Codex Regius et le Flateyjarbók, manuscrits d’une valeur inestimable
Un matin d’avril 1971, 15 000 personnes affluèrent vers le port de Reykjavik, la capitale islandaise. Soit près d’un dixième de la population que comptait alors l’île. Parmi la foule, l’ensemble du gouvernement du pays et plusieurs ministres danois. Sous l’œil des caméras de la télévision nationale, qui retransmettait un événement en direct pour la première fois de son histoire, le navire danois Vaedderen faisait son entrée dans le port. À son bord, le Codex Regius et le Flateyjarbók, manuscrits d’une valeur inestimable, contenant à eux deux une bonne partie des « sagas » qui ont fait la gloire de l’Islande. Le Danemark, à qui ils avaient été remis au milieu du XVIIe siècle par l’évêque Brynjólfur Sveinsson, leur découvreur, se décidait enfin à les restituer…
Comment une île si reculée, pas très grande et relativement peu peuplée a-t-elle pu devenir le foyer d’une des littératures les plus florissantes du Moyen Âge ? Dans le Neue Zürcher Zeitung, à l’occasion du quarantième anniversaire de la restitution des manuscrits, Aldo Keel livre quelques éléments d’explication : « Tandis que, partout ailleurs, les clercs philosophaient en latin derrière les murs épais de leurs monastères, en Islande, des lettrés rustiques écrivaient dans leur langue maternelle. Leur production était énorme, pour des raisons qui étaient aussi d’ordre économique. Sur le continent, le parchemin était un bien précieux. Pas en Islande, où l’on utilisait la peau de veaux qui de toute façon étaient abattus peu après leur naissance. Le célèbre philologue Sigurdur Nordal a calculé que le paysan pour qui fut fabriqué le recueil de sagas contenu dans le Flateyjarbók a eu besoin tout au plus de cinq ans pour fournir à partir de son cheptel la quantité de peau nécessaire, sans que cela lui nuise financièrement en quoi que ce soit. »