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L’autre mystère Courbet


Melchior Seeberger, Maxime Gapany, Gustave Courbet et Louis Weitzel, 1876

Dans un livre à paraître, l’écrivain Claude Schopp révèle ce qu’il pense être le nom du modèle du célèbre tableau de Gustave Courbet L’Origine du Monde. Il lèverait ainsi un des grands secrets du domaine de l’art. Mais Courbet, lui, garde quelque mystère. Si l’on en croit l’écrivain Alexandre Pothey dans cet article du Gaulois publié le 10 mars 1869, le peintre aurait eu également des talents d’inventeur et aurait mis au point le monocycle.

Capter d’une façon durable l’attention des Français est une gloire réservée à de rares élus; mais on doit reconnaître que la curiosité publique s’attache sans cesse, sans relâche aux moindres actions et aux plus intimes détails de la vie de ces privilégiés. J’ai cru remarquer chez mes contemporains cette vague inquiétude, ce malaise indéfinissable que produit l’attente d’une chose tenue secrète, et c’est pour enrayer le mal à son origine que j’apporte ici le résultat de mes longues et pénibles investigations.

Gustave Courbet… N’est-il pas vrai, Mesdames ? Avouez-le, Messieurs ? Vous désirez savoir ce que fait le maître peintre dont vous n’avez pas entendu parler depuis quatre grands mois. Quelques cancans sans portée, quelques anecdotes invraisemblables, et c’est tout. Que prépare-t-il pour la prochaine Exposition ? Quel est le motif de son principal tableau ? Va-t-il ajouter une œuvre intéressante à cette galerie qui compte L’Enterrement, Le Combat de cerfs, La Femme au perroquet, Le Mendiant ? Se bornera-t-il à exposer quelque paysage plein d’ombre et de fraîcheur trouvé sur les bords de la Loue ? C’est en effet dans son pays, à Ornans, que l’artiste recueilli, isolé, a produit les tableaux qui ont causé des sensations si vives et si contraires. Eh bien, voici la vérité. M. Courbet n’exposera pas. M. Courbet ne peint plus, momentanément du moins. Mais rassurez-vous, Mesdames, M. Courbet travaille pour vous et la création nouvelle, à laquelle en ce moment il fait les dernières retouches, occasionnera dans le monde des femmes jeunes, belles et intrépides, une agitation prodigieuse qui gagnera l’Europe entière.

Pendant les dernières semaines de son séjour à Paris, Courbet parut modifier ses habitudes. Lui, dont l’esprit, le cœur et l’atelier étaient largement ouverts à tout venant, sembla tout à coup rechercher la solitude et la méditation. Il s’enfermait, causait peu et, quand ses amis parvenaient à le surprendre, il cachait en toute hâte de grandes feuilles de papier couvertes de dessins.

Il partit enfin pour Ornans et, dès son arrivée, il fit établir une forge dans son atelier, où seul un mécanicien fort habile fut admis. Durant quatre mois, pendant le jour et pendant la nuit, de grandes clartés rougissaient les vitres et de lourds marteaux retentissaient sur les enclumes. Les indiscrets, aussi communs en province que partout ailleurs, en furent pour leurs frais de suppositions.

Aujourd’hui Courbet, redevenu joyeux, montre avec orgueil son invention nouvelle : Le Monocycle.

Le monocycle est une voiture composée d’une seule roue dont l’essieu, un peu prolongé, sert à deux lins. De chaque coté se trouvent les attaches où s’adaptent de fins brancards et les ressorts en S qui supportent précisément au-dessus de la roue un siège à la fois élégant et commode.

Je regrette bien de ne pas connaître les termes techniques de la carrosserie, car je sens que ma description est peu compréhensible ; mais je puis dire que les ressorts en col de cygnes sont combinés avec beaucoup de science pour la solidité et pour la forme. Leur élasticité est telle que l’équilibre se déplace et se maintient suivant le poids du corps qu’ils supportent, de façon qu’un, gros homme ou une femme mince peuvent alternativement se servir de la même voiture. Le cheval, attelé sans gêne, trahie un fardeau sans aucune fatigue, en établissant un contre-poids qui ajoute encore à la sécurité.

La force, la légèreté et la grâce s’unissent dans cette intéressante découverte. La largeur prise par le monocyle est, cela, se comprend, précisément celle du cheval. Donc plus d’encombrement, mais rapidité plus grande dans la marche et arrêt plus subit. Les promenades au bois et sur le champ des courses vont prendre un attrait tout nouveau pour nos belles écuyères qui pourront rivaliser entre elles de vivacité, de légèreté et d’adresse.

Le vélocipède ridicule et fatigant a fait son temps. Ce n’est certes pas moi qui le regretterai.

Il est probable que le monocycle subira quelques modifications, suivant le goût et le caprice des amateurs. Déjà M. Courbet s’occupe de fixer un petit strapontin derrière l’essieu pour l’usage d’un domestique : mais il serait oiseux de parler de ces détails dès à présent. Le monocycle fera son apparition à Paris pendant les jours de Longchamps, et M. Courbet s’est réservé la joie de conduire le premier, au milieu des somptueux équipages. Un succès formidable le récompensera, nous n’en doutons pas, de ses efforts et de sa persévérance.

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Si mon ami Courbet me contraint absolument à accepter un monocycle, modeste mais utile, pour me récompenser de la publicité que je donne à son invention, eh bien! je le prendrai. Cet exemple engagera peut-être un aimable lecteur à m’offrir un petit poney pour compléter mon équipage.

Alexandre Pothey.

LE LIVRE
LE LIVRE

Le Gaulois de Henry de Pène et Edmond Tarbé des Sablons, 1868-1929

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