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Le difficile chemin de la mixité


Les garçons embêtant les filles en classe, ap. 1875 / Library of Congress

Le 22 mars 1968 parmi les revendications politiques des étudiants de l’université de Nanterre s’est glissé une requête plus prosaïque. L’histoire est bien connue : les garçons veulent accéder aux dortoirs des filles. La demande est anecdotique dans le mouvement social qui suivra, mais elle procède de la longue histoire de la mixité scolaire. A peine plus d’un demi-siècle auparavant l’expérimentation de classes où se retrouvent filles et garçons fait bondir les milieux conservateurs. Dans ce rapport publié par le journal La Croix le 23 octobre 1910, des associations familiales décrivent « l’immoralité extrême » que pourraient engendrer les cours mixtes.

Les écoles géminées, prônées par les Amicales, jouissent de la faveur des administrations scolaires. Elles sont repoussées avec raison par les pères de famille ; elles doivent être vivement combattues par les associations. Notre intention est de préciser toutes les données concernant ces sortes d’écoles ; nous montrerons, en même temps, que la loi et le bon sens s’opposent, sur ce point, à la fantaisie pédagogique.

Tout d’abord, il ne faut pas confondre école géminée avec l’école mixte, bien que toutes les deux pratiquent, ce que nous appellerons d’un mot quelque peu barbare, le coenseignement, bien que toutes les deux soient soumises quelquefois, dans leur organisation, à la malfaisante pratique de la coéducation des sexes.

L’école mixte est celle des communes à école unique, qui ne comptent pas 500 habitants, et que la loi n’oblige pas à avoir une école spéciale pour les garçons et une école spéciale pour les filles. Les enfants des deux sexes sont réunis dans la même classe ; le coenseignement dans ces conditions est prévu par la loi et nécessaire ; personne ne peut s’y opposer.

Le mélange des filles et des garçons, alternés sur les mêmes bancs, leur mélange en récréation, la coéducation des sexes en un mot, est-elle permise ?

Nous répondons, non ; premièrement, parce que les pères de famille ne sont pas obligés d’admettre ce que la loi n’a pas formellement autorisé ; deuxièmement, parce qu’il y a de graves inconvénients pour la morale dans cet arrangement ; troisièmement enfin, parce que la coéducation des sexes est contraire à l’esprit de la loi. Le silence de la loi est facile à vérifier ; l’inconvenance du mélange des sexes n’a pas besoin d’être démontrée ; le troisième point seul demande quelque développement. L’esprit de la loi est tout à fait opposé à la coéducation des sexes. En effet, la loi du 30 octobre 1886 établit en principe que l’enseignement doit être donné par des institutrices, dans les écoles mixtes. Or, il appert des discussions qui eurent lien à ce sujet, que les institutrices étaient considérées comme des éducatrices infiniment supérieures aux hommes et mieux indiquées par les convenances. A titre provisoire, le Conseil départemental pouvait permettre à un instituteur de diriger une école mixte, à condition qu’il lui fut adjoint une maîtresse de couture. La proportion de ces écoles ainsi organisées, de 71 % en 1886, était encore de 65 % en 1897. Mais, par une circulaire du 26 juillet 1897, le ministre appelle l’attention des préfets sur cette situation si peu conforme à la volonté du législateur pour demander la mise à exécution de la loi de 1886 ; outre les économies budgétaires, il fait valoir des raisons de pédagogie et de convenance, pour amener l’administration à choisir des institutrices pour la direction des écoles mixtes. En résumé, les considérants de la loi de 1886 et de la circulaire de 1897 sont tout à fait contraires à la coéducation des sexes.

Donc, dans l’école mixte, le coenseignement est nécessaire ; il est légal ; mais l’arrangement des filles et des garçons sur des bancs séparés aussi bien que la séparation dans la cour de récréation peuvent être réclamés par les pères de famille ; la coéducation des sexes n’est conforme ni à la morale, ni à l’esprit de la loi.

Les écoles géminées sont celles des communes, où il y a deux écoles, l’une de garçons, l’autre de filles. L’instituteur et l’institutrice s’entendent pour prendre en classe, l’un les grands garçons et les grandes filles, l’autre les petits garçons et les petites filles.

Comme on voit, ce système ne peut se produire que dans les pays d’une population supérieure à 500 habitants, dotés d’une école spéciale de filles, conditions bien différentes de celles de l’école mixte légale dont nous venons de parler.

L’école géminée comporte donc, comme l’école mixte le coenseignement des filles et des garçons, et parfois aussi, lorsque les parents sont assez insouciants et assez indifférents pour laisser faire, la coéducation des sexes.

Disons tout d’abord que la loi n’autorise pas les écoles géminées. Le paragraphe 4 de l’article 11 de la loi du 30 octobre 1886 est formel à cet égard. « Lorsque la commune ou la réunion de communes compte 500 habitants et au-dessus, elle doit avoir au moins une école spéciale pour les filles. » Si les écoles doivent être spéciales pour les filles, par le fait même elles le seront pour les garçons. Les textes sont donc formels, ils ne donnent lieu à aucune incertitude. Ce système des classes géminées, dont les origines et les tendances rentrent dans le programme de la secte maçonnique, est propagé avec zèle par les inspecteurs, qui se font, dans les Congrès et les conférences pédagogiques, les champions de la coéducation des sexes.

Cependant, pour donner un air de légalité à cette organisation nouvelle, on émit un vœu qui fut porté à la section permanente du Conseil de l’instruction publique. La réponse n’a pas été publiée officiellement. La Semaine religieuse d’Arras en adonné un texte qui serait exact quant à la substance et daté de décembre 1906.

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L’organisation des classes mixtes sera autorisée dans les groupes scolaires, où le directeur et la directrice mariés ou non, en reconnaîtront l’utilité et la possibilité.

Tel est le vœu. Voici maintenant l’avis de la Commission permanente : « Dans les communes où il existe une école de garçons et une école de filles à une classe, le groupement des élèves sans distinction de sexe, dans l’une et l’autre école, d’après le degré de leur instruction, peut faciliter l’enseignement et rendre plus rapides les progrès des élèves. » Les Conseils des départements ont émis des vœux à l’effet d’obtenir l’adoption de cette nouvelle organisation

« En l’absence d’une disposition légale autorisant la création d’écoles, où la coéducation des garçons et des filles serait mise en pratique, il n’est pas possible d’en adopter le principe par voie réglementaire. Cependant, il y a intérêt à expérimenter cette organisation, lorsque les familles ne s’y refusent pas, et que les Conseils municipaux en font la demande. » La section est d’avis de proposer à M. le ministre de permettre, à titre exceptionnel, l’expérience des classes mixtes, dans les groupes scolaires ne comprenant qu’une classe de garçons et une classe de filles, après avis du Conseil municipal et approbation du Conseil départemental. »

La section permanente du Conseil supérieur de l’instruction publique reconnaît donc l’absence de disposition légale, autorisant le coenseignement des garçons et des filles ; elle est d’avis -qu’on n’en permette l’expérience qu’à titre exceptionnel, lorsque les familles prévenues y consentiront et après avis du Conseil municipal.

La réponse de la section permanente ne manquait pas de sagesse ; elle ménageait tout à la fois le droit des familles et le contrôle du Conseil municipal. Toutes ces règles, basées sur les convenances et sur le respect de droits incontestables, auraient dû être observées par tous les instituteurs, avec d’autant plus de délicatesse, qu’il s’agissait d’abolir des usages consacrés par l’expérience et tout à fait conformes aux exigences de la morale.

Nous avons le regret de constater que, dans bien des cas, l’avis du Conseil supérieur de l’instruction publique est resté lettre morte. Il faut dire que dans certains milieux primaires, nos édiles ne jouissent pas d’une considération distinguée. Les désirs des familles, d’autre part, sont aux yeux des éducateurs des quantités négligeables et des infiniment petits ; le droit du père et de la mère, qui commence seulement à s’affirmer, grâce à nos associations, trouve souvent close la porte des palais scolaires

Le bon sens et la morale la plus élémentaire commandent de placer de bonne heure des barrières, pour sauvegarder la vertu des enfants. Les pères de famille, soucieux de conserver leurs enfants affectueux et honnêtes, veilleront à ce que ces barrières ne soient jamais enlevées, sans leur consentement formel, sous prétexte de procurer à l’enseignement des conditions plus faciles et un peu plus d’émulation. Les classes géminées, où l’on commence à pratiquer le coenseignement, sont un acheminement vers la coéducation intégrale. On sait ce que vaut celle-ci. L’expérience n’est pas à faire.

Le directeur de l’orphelinat de Cempuis, n’avait rien trouvé de mieux que de supprimer les barrières. L’histoire de ces pauvres orphelins est lamentable. Dans les classes, à l’atelier, au gymnase, dans les récréations, les promenades, les voyages, pendant les repas, toujours les filles et les garçons étaient confondus. L’orphelinat possédait une maison sur la plage de Mers, et, pendant les vacances, les étrangers scandalisés voyaient les jeunes filles et les jeunes garçons de Cempuis prendre leurs bains ensemble ! Rien n’était tenté pour ménager la pudeur. Il faut lire aussi les dépositions des ouvriers, qui étaient appelés à travailler dans la maison, pour être édifiés sur l’établissement et les mœurs qui y étaient en usage. Cempuis a disparu dans un cloaque ; mais la doctrine subsiste ; la coéducation des sexes a été reprise par le Congrès des amicales, à Lille, le 31 août 1905.

Il a émis le vœu suivant : « La coéducation deviendra successivement le régime de l’école publique. Dans les écoles mixtes, on ne se contentera pas de faire du coenseignement, on fera de la coéducation. Pendant les récréations, il n’y aura pas de séparation entre les filles et les garçons. » D’autres vœux sont adoptés, dont celui-ci : « L’instituteur, l’institutrice, suivant les circonstances, enseigneront à l’école mixte, en attendant que la République, réalisant l’éducation rationnelle et harmonieuse, mette à la tête de chaque école le couple éducateur. » Et c’était un ancien maître de Cempuis qui faisait adopter ce vœu.

Pères de famille, vous êtes prévenus ; si vous n’y prenez garde, vous en verrez de belles. Ne laissez jamais établir une classe géminée par simple accord de l’instituteur et de l’institutrice. S’il y a un consentement nécessaire c’est le vôtre et vous ne le donnerez jamais parce que les classes mixtes, si elles offrent quelques avantages pour l’instruction de vos enfants, présentent de graves inconvénients pour leur vertu, qu’il s’agit de sauvegarder avant tout. En classe mixte, la surveillance doit être absolue, persévérante et complète. Or, il y a des tables à l’école qui rendent cette surveillance difficile, pour ne pas dire impossible.

Pendant les démonstrations au tableau, le maître tourne le dos à la majeure partie de ses élèves. Enfin, il est appelé assez fréquemment à la mairie, dont il est le secrétaire, ou au téléphone municipal, dont il est le receveur. Les enfants sont vite au courant de ses absences ; ils en connaissent au bout d’un certain temps le motif et la durée. Ainsi peuvent se produire dans cette promiscuité d’une classe non surveillée des faits d’immoralité extrêmement graves, dont la réalité n’est malheureusement pas à l’heure actuelle purement hypothétique.

D’après l’enquête faite dans le courant de cette année dans l’Ain, auprès des associations cantonales, il y a des écoles géminées dans toutes les régions, bien qu’en petit nombre ; les trois quarts des cantons en possèdent quelques-unes. C’est la tendance actuelle des Instituteurs et des institutrices, encouragés et favorisés sous ce rapport par leurs supérieurs hiérarchiques. Tantôt, ils consultent les familles, et vont, de maison en maison, prôner les avantages de la classe mixte ; tantôt ils se contentent de l’avis du Conseil municipal et quelquefois même du simple acquiescement du maire ; tantôt, lia établissent le système d’un commun accord, sans se préoccuper de ce qu’en pensent ceux qu’ils appellent un peu irrévérencieusement « nos édiles », et sans se soucier, outre mesure, de l’opinion de la famille.

Voilà pour le coenseignement. Dans une demi-douzaine d’écoles il y a en plus la coéducation intégrale ; garçons et filles sont alternés sur les mêmes bancs et ne sont pas séparés en récréation. Dans l’une de ces écoles, il a suffi de la plainte d’un père de famille pour faire cesser cet abus. Dans les autres, les associations cantonales devront intervenir sans délai.

En présence de cette tendance et de ces faits, les associations de l’Ain réunies en Congrès à Bourg, le 6 août 1910, ont émis le vœu suivant : « Les pères de famille veilleront avec plus de soin désormais à ce qu’il ne s’établisse dans les communes ayant une école spéciale pour les garçons et une école spéciale pour les filles aucune classe mixte sans leur consentement. Ils réprouveront, par tous les moyens en leur pouvoir, le placement alterné des garçons et des filles sur les mêmes bancs, tout mélange en récréation ! Ils s’opposeront d’une façon absolue à la coéducation des sexes. »

LE LIVRE
LE LIVRE

La Croix de Vincent de Paul Bailly, Bayard Presse, 1883

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