Les années sida
Publié dans le magazine Books n° 22, mai 2011.
Ou comment faire un roman avec du « presque contemporain ».
« Événement » de la rentrée 2008, le jeune philosophe Tristan Garcia avait reçu pour son premier roman La Meilleure Part des hommes le prix de Flore à l’unanimité. Le voilà traduit aux États-Unis, sous un titre aussi éloigné que possible de l’original : Hate. A Romance, « Haine. Une histoire d’amour ».
Cela dit, ce titre décrit assez bien la trame du récit, qui met en scène les palinodies intellectuelles et amoureuses de personnages représentatifs de la scène parisienne à la fin des années 1980 : un philosophe de la gauche radicale passé au néoconservatisme, une journaliste de Libé et deux homos, dont un militant de la cause anti-sida et l’autre militant du barebacking, autrement dit des rapports sans protection.
Dans la London Review of Books, le journaliste britannique Theo Tait s’interroge sur le sens du livre et se demande si c’est du lard ou du cochon. Les personnages manquent de chair, et « la mise en scène d’émotions et de sensations fortes n’est pas le genre » de Garcia. Mais l’intrigue est bien nouée. Le style est enlevé, même s’il n’est « guère mieux que fonctionnel », et le texte, « souvent très amusant, est toujours intéressant ». L’intérêt vient en partie du tableau de ce que Garcia appelle le « presque contemporain ». Ses principaux personnages sont une transposition à peine déguisée : les deux homos ressemblent furieusement à Didier Lestrade, l’un des fondateurs d’Act Up, et à William Baranès, alias Guillaume Dustan.
Quant au philosophe, c’est un portrait détourné d’Alain Finkielkraut. Lequel n’avait guère apprécié : « Autrefois, la littérature avait un rapport avec la courtoisie et avec l’imagination. Il semble qu’aujourd’hui elle relève de plus en plus de la muflerie et du fantasme », avait-il déclaré à L’Express.