« Une lettre d’Auschwitz »


Lundi 27 janvier, la Pologne organisait sur le site du camp d’Auschwitz une cérémonie pour commémorer les 75 ans de sa libération. Quatre jours plus tôt de nombreux chefs d’État avaient assisté à un événement similaire au Forum mondial de l’Holocauste à Jérusalem.

En 1945, lors de l’arrivée des troupes soviétiques dans les camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz, la France ne découvrait pas cet endroit de mort. Dès la libération du pays en 1944, des témoignages sont publiés dans la presse française, comme cette lettre reproduite dans l’édition du 24 août 1944 de L’Humanité. Afin d’échapper à la censure, les Allemands sont remplacés par les Russes, et le nazisme par le bolchévisme. Écrite par un ou une militante communiste détenue à Auschwitz, elle donne néanmoins en peu de mots un aperçu glaçant de l’horreur concentrationnaire.


…Moi, si je veux parler, c’est afin que la haine

Ait le tambour des sons pour scander ses leçons :

Aux confins de Pologne, existe une géhenne

Dont le nom siffle et souffle une affreuse chanson.

Auschwitz I Auschwitz ! ô syllabes sanglantes !

Ici l’on vit. Ici l’on meurt à petit feu.

On appelle cela l’exécution lente.

Une part de nos cœurs y périt peu à peu.

François la Colère (Le Musée Grévin).

 

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De l’enfer où sont mortes Danièle Casanova, Marie-Thérèse Fleury, Maï Politzer et tant d’autres héroïques jeunes femmes de chez nous, nous parvient la lettre qui suit :

 

Chers amis,

« Que vous dire ? J’aurais tellement à dire, et des choses si extraordinaires que vous ne les croiriez pas. Et d’ailleurs, je ne trouve pas les mots pour vous les dire, il faut les avoir vécues et vues pour les croire.

Je commencerai par vous dire que, depuis notre départ, « notre groupe » a fondu comme neige au soleil ; quatre-vingt-quinze pour cent des camarades se sont « volatilisés » si je puis employer ce mot. Nous restons, comme vous voyez, très peu nombreux de ceux du premier jour. Ne me demandez pas de détails. Je ne peux pas vous les donner. À me lire, vous devez vous dire que je suis devenu fou où insensible. Ni l’un ni l’autre, que je sache. Je garde la tête froide ou, plutôt, nous gardons la tête froide. C’est la seule chose raisonnable que nous puissions faire. Ne croyez pas que nous ne sommes au courant de rien : nous savons tout ce qui s’est passé en notre absence et tout ce que sont devenus ceux de l’âge des vieux.

Il y a beaucoup de camarades français, il y a même des prisonniers transformés. Tous font leur devoir envers le pays qui défend l’Europe contre le plus grand danger du siècle (le bolchevisme).

Il y a même des Russes, et ceux-là peuvent dire ce que les Bolcheviks ont dans le ventre. Tout ce que l’on raconte est vrai. Je ne veux plus parler des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants chargés comme du bétail dans des wagons expédiés au loin, vers l’Est.

Il est des horreurs plus terribles encore : enfants bourrés dans des sacs comme des légumes et jetés dans le feu, femmes, vieillards brûlés vivants et ceci, non pas par unité, mais par centaines de milliers.

Vous direz qu’il faut être fou pour croire des choses pareilles. Moi, je vous dis que des gens ont été témoins de ces massacres et on peut les croire. Mais à quoi bon se lamenter, crier, puisque personne ne peut nous aider. Alors il vaut mieux faire bonne mine et attendre les jours « meilleurs ! ».

Vous devez vous dire que je vous écris cette lettre comme si j’avais l’intention de vous faire un cours d’endurcissement. La plume m’emporte, et alors j’écris. Je voudrais encore bavarder avec vous, mais je n’ai pas le temps. Ma lettre est embrouillée, sans queue ni tête, mes idées se mêlent et pourtant, je ne peux vous écrire tout : il me faudrait des livres de papier. Je m’arrête et vous embrasse tous bien fort. »

Sous le voile transparent d’une référence aux Bolcheviks, cette femme nous fait connaître les crimes nazis. C’est au péril de sa vie qu’elle nous fait parvenir cette lettre clandestine pour nous crier la vérité. Chaque Français aura à cœur de se faire l’écho de sa voix et de répandre la haine sacrée contre des bourreaux à croix gammée.

(Ce texte a été publié dans le dernier numéro clandestin du bulletin du Comité National de Défense des Prisonniers politiques.)

 

 

 

 

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L’Humanité de Jean Jaurès, 1904 -

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