L’Hyper Livre de l’hyper Attali

Donc Jacques Attali vient de sortir le premier « hyper livre » français, (Robert Laffont). Il s'agit d'un livre ordinaire agrémenté par-ci par-là de petits logos, des « flashscodes », qui peuvent en principe être lus par des téléphones portables modernes et donner accès, au-delà du texte du livre, à toutes sortes « d'hyper contenus » : de la musique, des images, des vidéos, ou même des sites où l'on peut « réagir à ce chapitre » comme Attali nous y invite régulièrement.

Commençons par les mauvaises nouvelles. D'abord, ça ne marche pas. Ou du moins, ça ne marche qu'avec un petit nombre de téléphones portables : Nokia, Sony ou Samsung. Pour les autres il faut, tenez-vous bien, téléphoner au 31014 les références de chaque document, pour recevoir en retour une adresse Internet, laquelle permet enfin de télécharger ledit document.

Ensuite, cette technique, tout à fait banale au Japon et en Corée, a déjà été utilisée en France, notamment par le magazine Newzy.

Mais ne chicanons pas. Comme toujours avec Attali - rejoint ici par une quantité de figures de l’intelligentsia – c’est intéressant d'aller y voir de plus près. On tombe généralement sur une exploration concise et aiguë du présent, ou du passé proche, souvent prolongée d'une habile interrogation du futur. C'est encore une fois le cas avec cet ouvrage modestement intitulé Le Sens Des Choses.

La prévision est un art ingrat plus encore que difficile. Des armées d'économistes, d'analystes macro et micro coûtent des fortunes aux financiers de tout poil, et on a vu le ridicule du résultat. On sait désormais que le futur dépend bien plus des tours insoupçonnés du destin – les « cygnes noirs », les « outliers » - que des évolutions quantifiables. Il n'y à qu'à regarder dans sa propre vie ! La déroute des prédictions, face à la crise, en a incité beaucoup à prédire la fin des prédictions. Mais c'était là encore une fausse prédiction. La preuve.

Le secret d'Attali, et des bons esprits qui dans cet ouvrage l'entourent, c'est de triturer le présent pour en exprimer quelques germes d'avenir. Il faut y mettre beaucoup d'intelligence, d'imagination, de sensibilité. Et ça marche. On recueille en effet au fil des pages quelques aperçus qui donnent à songer : l'islam se renforcera tandis que les intégrismes et la laïcité décroîtront, la frontière travail/loisir deviendra de plus en plus poreuse, les drogues classiques (chimiques), seront remplacées, il faudra savoir se remettre en cause plusieurs fois dans le cours de sa vie, les gens joueront de plus en plus de musique, plutôt que de l'écouter passivement, et sur des instruments radicalement nouveaux etc. etc.

Au fond j'ai eu tort de brocarder d’entrée de jeu l'usine à gaz que représente cet hyperlivre. Car bien sûr, on le sait depuis McLuhan, « le médium, c'est le message ». Ici donc, voici un médium qui permet en théorie le croisement, et donc l'accroissement, des informations et des idées. L’objet d’Attali constitue par lui même une sorte de raccourci du monde dans lequel nous sommes sur le point de pénétrer, que le livre s’essaye à décrire. Ce n’est pas idiot de rêver à écarter un peu le voile du futur. Un humain averti en vaut deux.

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