L’oiseau de paradis, le top du top de la sélection sexuelle
Publié en mai 2011. Par Jean-Louis de Montesquiou.
Entre Darwin et l’Australie, c’est une histoire d’amour. Le père du darwinisme n’a passé que quelques semaines sur le cinquième continent, début 1836, mais il a continué à en recevoir spécimens et informations longtemps après avoir débarqué du Beagle. Il disait que l’Australie était « sa patrie d’adoption », et a donné son nom à l’une de ses capitales. L’enthousiasme de Darwin s’explique facilement : séparé du Gondwana il y a 250 millions d’années, le continent australien a donné libre cours à son propre processus de sélection naturelle, lequel a produit des résultats surprenants. Devant des créatures aussi inattendues (les marsupiaux, l’ornithorynque, etc.) Darwin s’est exclamé que « deux Créateurs distincts semblent avoir été à l’œuvre » sur notre planète, avant de proposer de ne retenir qu’une seule et unique puissance organisatrice, l’évolution.
Aujourd’hui, la sélection naturelle est toujours vigoureusement célébrée en Australie. Le Musée de Sydney présente ainsi une exposition sur les oiseaux de paradis, splendides volatiles de la région (Indonésie, Nouvelle Guinée, Australie) qui représentent ce qu’on fait de mieux en matière de sélection sexuelle. Ces singuliers oiseaux, dont il existe plus de 40 variétés, ont poussé très loin le dimorphisme sexuel, c’est à dire la différenciation entre mâles et femelles : celles-ci sont banales et brunâtres et ceux-là, véritables vedettes tropicales de music-hall, sont accoutrés de plumes immenses et multicolores, de collerettes, de paillettes, de clochettes, et que sais-je encore. Mais la hiérarchie est claire : le mâle propose, les oiselles disposent. Il faut les voir, alignées par demi-douzaines sur des branches basses, commenter de pépiements désobligeants la performance d’un pauvre mâle, par terre, qui s’époumone à chanter et danser.
Interminables chorégraphies
Peu d’espèces ont mis au point un rituel aussi onéreux et sophistiqué – à l’exception notable de la nôtre, et plus particulièrement des indigènes de ces mêmes régions. Eux aussi se revêtent de parures extravagantes et magnifiques, à base des plumes des infortunés oiseaux, et se lancent dans d’interminables chorégraphies, si comparables à celles du volatile que le commissaire de l’exposition, sans grand souci du politiquement correct, s’interroge : quelle espèce a donc inspiré l’autre ? Il suggère d’ailleurs la réponse en faisant valoir qu’il y a des similitudes entre la danse immémoriale de l’oiseau et notre récent hip-hop : mêmes insolites mouvements saccadés, et surtout mêmes arrêts brutaux qui figent le danseur dans une position acrobatique.
Une autre question bondit à l’esprit quand on contemple les absurdes atours des oiseaux de paradis : encombrants, visibles, fragiles, ils paraissent bien peu adaptés au brutal environnement de la jungle. Ah ! Mais c’est qu’ici une fois de plus, « le médium est le message ». Si je déploie des atours aussi dangereux et convoités, si je consume tant d’énergie à vous séduire, au prix de ma sécurité, signifie l’oiseau aux oiselles, c’est que je puis me le permettre, car mes gènes sont les meilleurs. Dragueurs de tous pays, décodez vous aussi ce message : ce que lorgnent les dames, derrière vos bottes en croco ou vos Porsches lustrées, ce sont vos gènes, ou votre portefeuille.