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« Naturisme »


Qui se sera fait dorer sur une plage cet été aurait été qualifié de « naturiste » il y a 90 ans. Le maillot de bain, qui se démocratise alors, est encore jugé choquant. Dans la rubrique « La page de la femme » de L’Ouest-Éclair du 12 septembre 1929, une chroniqueuse s’élève contre cette mode importée qui pervertit les jeunes filles et les enfants, qui ne savent plus faire d’honnêtes pâtés de sable.

Le naturisme est très à la mode. Une revue paraît régulièrement exposant les idées naturistes et servant de trait d’union entre les adeptes de cette doctrine. Un livre résuma, il y a peu de temps, les dernières théories émises et nous conduisit dans les divers pays où elles sont appliquées.

Pour discuter cette doctrine, qui entraîne toute une philosophie, il faudrait s’étendre longuement. Aussi du naturisme proprement dit parlerons nous peu. Ses adeptes s’enferment encore en des régions où leurs théories, mises en pratique, ne risquent guère de choquer leurs contemporains. Mais il est un autre naturisme, pratiqué celui-là, sur nos plages, et qu’il nous faut bien constater. Il prend des proportions réellement considérables, et, peu à peu, semble gagner toutes les classes de la société.

Les premières femmes qui se baignèrent en maillot, il y a quelques années, causèrent du scandale, et cependant quels maillots ! Longs, larges à souhait, peu décolletés, enfin, de vrais maillots encore décents.

Peu à peu, ceux-ci se sont amplement échancrés, puis raccourcis ; enfin, à l’heure actuelle, au moins sur certaines plages, ils sont réduits à leur plus simple expression, laissant pour la femme le dos entièrement nu, pour l’homme tout le torse. De plus durant la cure de soleil, les femmes laissent tomber les épaulettes et maintiennent à deux mains le maillot qui ne cèle plus rien de ce qu’il devrait celer. « Mais, dira-t-on, nous savons de quelles femmes vous voulez parler… Celles-là ! ! ! »

Point du tout. Peut-être au début le maillot fut-il lancé par quelques excentriques ou certaines femmes douteuses dont les femmes « honnêtes » se détournaient d’un air offusqué. Mais, à l’heure actuelle, au moins sur les plages à la mode, ce sont toutes les femmes, toutes les jeunes filles, ou presque, qui arborent cet uniforme ou plutôt cette absence d’uniforme.

Et se contentent-elles de demeurer couchées sur un coin de sable brûlant ? De prendre leur bain de mer et leur bain de soleil ? Mais non : on circule sans peignoir d’un bout à l’autre de la plage, on se rend visite ; on prend, ainsi dévêtu, le porto sous la tente ; et même, dans un casino fameux, on déjeune en cette tenue. Aux heures « habillées » les femmes arborent, à la mode de Beach-Plage en Amérique, de charmants pyjamas et des chapeaux coniques qui les font ressembler à de petites Annamites vêtues de brillantes couleurs.

Quelles lacunes d’âmes et quel coupable laisser-aller révèlent de pareilles manières. Je sais bien qu’elles sont d’importation, ce qu’on ne manquera pas au loin d’oublier. Le nudisme est venu d’Allemagne où ses partisans gravissant une montagne ôtaient un à un tous leurs vêtements. À l’heure actuelle, deux girls obtiennent un succès fou aux États-Unis, parce qu’elles en font le tour en longs pantalons fleuris. Publicité de l’excentrique, non, certes, de l’intelligence, car, en somme, à quoi ça rime-t-il ?

Il y a déjà quelques années aussi qu’en Italie on passait de la plage à l’église, enveloppé d’une sortie de bain… de bonne foi, on ne saurait donc nous jeter la pierre. Mais cela ne veut pas dire que nous ayons raison d’adopter de pareilles sottises, ou de leur être trop indulgents. Il s’en trouve qui ne veulent croire que ce retour vers l’état de nature soit synonyme d’un plus grand relâchement des mœurs. Ces jeunes hommes, ces jeunes filles bronzés, musclés, bien bâtis, disent-ils, donnent l’impression d’être bien portants, sains physiquement et moralement, beaucoup plus soucieux d’assouplir leurs corps aux rudes exercices qu’ils pratiquent avec entrain et tous en chœur, que de s’adonner en secret aux charmes du flirt. Plus de mystère, d’un seul coup d’œil on se connaît ; jeunes gens et jeunes filles sont des camarades qui s’entraînent ensemble à leurs sports favoris.

De plus, il n’est pas nécessaire d’être doté d’un corps bien équilibré pour retourner à la nature. Des messieurs, des dames de tous âges ne craignent point d’exposer aux regards impitoyables des silhouettes déformées ; et la mère de famille, au milieu de ses enfants, bien ou mal balancée, veille sur eux, elle aussi, dans ce costume plutôt sommaire. Au premier abord, ajoute-t-on, cet aspect des plages choque le voyageur qui débarque. Mais, s’il reste quelques jours dans le pays, il se laisse, lui aussi, prendre par l’ambiance. Il s’aperçoit que tous ceux qui se promènent en cette tenue trouvent la chose toute naturelle et n’y prêtent même plus attention. Seul celui qui arrive est surpris par la nouveauté du spectacle et seuls les êtres anormalement constitués étonnent et suscitent et encore les réflexions des uns et des autres.

Ainsi raisonne-t-on, ou déraisonne-t-on. Et l’on se demande comment une mère peut de gaieté de cœur laisser ses filles arborer des costumes aussi indécents. Certes, au grand air, à la mer, la chose peut paraître moins choquante qu’en une piscine de montagne. Cependant, comment ne pas regretter, pour la jeune fille, cette pudeur, cette timidité, que ne peuvent plus avoir nos ondines modernes ! Lorsque l’on a, des heures durant, joué au ballon, sauté, couru, lancé le disque en compagnie de jeunes garçons, dans la tenue la plus élémentaire, comment retrouver, à la ville, toutes ces qualités de réserve, de discrétion, de délicatesse, qui faisaient le charme de la vraie jeune fille ? Et les jeunes gens, croyez-vous qu’ils choisiront souvent leurs femmes parmi ces camarades de sport qu’ils ont traitées comme des garçons et trop bien vues ?

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Quant aux purs regards des enfants, il leur faut se familiariser avec tous ces corps dévêtus qui rissolent au soleil sous une couche d’huile protectrice. On ne peut plus s’étonner ensuite que sur l’une de ces plages, à un concours d’ouvrages en sable, un garçonnet de dix ans ait remporté le premier prix en sculptant une femme allongée dos au soleil. Au point de vue art, ce pouvait être bien. Au point de vue moral, c’est significatif. Mieux vaudrait les pâtés de sable de jadis et des enfants moins avertis de par l’exemple des grandes personnes. Autres temps, autres mœurs. Peut-être, mais alors nos temps sont tristes ; ils ont perdu le sens moral et jusqu’au respect des âmes des jeunes.

Annie

 

LE LIVRE
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ouest éclair

L’Ouest-Eclair de Félix Trochu et Emmanuel Desgrées du Loû, 1899-1944

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