Nostalgie de la punkitude
Publié dans le magazine Books n° 21, avril 2011.
Le punk est mort, vive le punk ! Le nouveau roman de Jaroslav Rudiš, auteur tchèque en vogue, est une ode mélancolique à ces vieux rebelles, partagés entre la colère et la résignation.
«Tu ne veux pas être comme eux, parce que tu ne veux pas te réveiller un matin et vomir en te regardant dans le miroir. Tu ne veux pas travailler dans leurs bureaux de verre, ni porter leurs costumes sur mesure, tu ne veux pas voter pour leurs copains, qui étaient peut-être des punks autrefois, mais ne pensent plus aujourd’hui qu’à eux et contre toi, tu ne veux pas savoir ce qu’est une hypothèque ou une assurance-vie […]. Leurs cafés douillets éclairés par une lumière tamisée ne t’intéressent pas, pas plus que la musique d’ascenseur… » « Eux », ce sont les « belles gens », qui ont inspiré à Jaroslav Rudiš un manifeste inséré dans son roman « La fin des punks à Helsinki », ceux contre qui « la lutte continue ». Car même si, d’après l’auteur tchèque, le courant punk est bel et bien mort dans son pays comme dans toute l’Europe centrale, de nouveaux mouvements doivent prendre le relais.
Le roman, unanimement salué comme le meilleur de cet auteur de 39 ans très en vue, s’articule autour de deux histoires. D’abord, il y a Ole, ancienne star du punk est-allemand, aujourd’hui quadragénaire, qui passe ses journées accoudé au bar Helsinki avec ses copains, comme lui nostalgiques des bouges cradingues et des crêtes iroquoises. « Ces punks ont déposé les armes, ils ont signé une paix fragile avec le système et, depuis, ils essaient simplement de survivre », relate le site Deník Referendum. L’histoire de Ole s’enchevêtre avec les pages du journal de Nancy, une punkette de 17 ans, habitante des Sudètes dans les années 1980. La jeune fille y écrit avec humour sa peur des retombées de Tchernobyl, son ennui à l’école, dans sa famille, la cohabitation avec les Russes, le sentiment de liberté qu’elle trouve dans le punk-rock, malgré la censure du régime. À cette époque, poursuit le journal en ligne, « les punks ont besoin de vivre et de combattre pleinement contre tout, les bourgeois idiots, les instituteurs stupides, les parents obtus… ». Les deux personnages ne se rencontrent qu’une seule fois : en septembre 1987, au festival de Plzen, première manifestation officielle du mouvement underground à l’Est, où tous les punks de RDA et de Tchécoslovaquie vinrent écouter leurs stars.
« Rudiš est crédible lorsqu’il se glisse dans la peau des punks », juge le site Nekultura.cz. Mais cela ne l’empêche pas de poser sur eux un regard ironique. « Ils lui sont sympathiques et il a un peu l’impression de faire partie de leur groupe mais, en même temps, il prend conscience de ce que leur anticonformisme est surtout digne de pitié », explique le site Iliteratura. Il est question dans ce roman de vieillissement, de la perte des illusions, de souvenirs, mais aussi du monde actuel où la révolte est devenue un business, une imposture joyeuse aux accents vaguement écolos et sociaux. Et quand quelqu’un veut vraiment protester, comme Eva, la fille de Ole, il ne lui reste que l’anarchisme violent et ses formes (auto)destructrices. « Rudiš ne se demande pas si les motivations d’Eva sont légitimes ou au moins défendables. Il préfère comparer ses attaques à l’explosif avec les opérations, naïves et innocentes, de la génération de son père. »
« Nous n’allons pas soupçonner Rudiš de regretter le régime communiste. Pourtant, il est incontestablement nostalgique d’une époque où la musique avait une signification plus importante », estime un autre site, Aktualne.cz. Passionné par la ville de Berlin, Rudiš s’en prend aussi à la reconstruction à tout-va en Europe centrale, sans considération pour le patrimoine et la mémoire collective. Il décrit avec force détails les façades ravalées, propres et sans aspérités, les cafés aseptisés qui ont remplacé les bars enfumés, les épiceries devenues des boutiques chics… Un monde dans lequel le bar Helsinki de Ole fait figure d’îlot, résistant seul face à la frénésie du bio, au culte du corps et de la santé.