Peut-on mesurer le bonheur?

Aujourd'hui, le quantitatif règne en maître. Voyez les efforts - et les improbables gymnastiques - pour mettre des chiffres sur tous les aspects de la tragédie écologique qui s'annonce. On mesure aussi continuellement les performances de l'économie, l'efficacité de la politique, la notoriété des uns et des autres, et que sais-je encore. Mais la résultante, en principe, de tous ces efforts conjugués, c'est-à-dire le bonheur, lui on ne le mesure pas. Il est à la fois au centre du dispositif, et absent.

Pourtant, des institutions et des esprits scientifiques se sont de longue date intéressés au problème. L'ONU notamment, qui a reconnu que sa finalité suprême était le « bien-être humain », a entrepris d'évaluer celui-ci sur une base annuelle grâce à son indice phare : le HDI (Human Development Index), fondé sur l'économie (le PNB), la santé, et l'éducation. Mais beaucoup de voix se sont élevées pour dénoncer le caractère très fruste de cette approche. Et cela a stimulé toute une réflexion sur les éléments constitutifs du bonheur (ou du bien-être) humain. Au hasard des études savantes (1) on trouve quelques perles de sagesse, qui pourfendent certaines idées bien reçues. En voici un florilège.

- « Le bonheur c'est la santé » : oui et non. Certes, impossible de trouver le bien-être sans un niveau minimal de santé. Mais l'espérance de vie (par quoi on mesure traditionnellement la santé globale d'une population) est un indicateur bien trompeur. Une survie qui se prolonge dans des conditions socialement, physiquement ou mentalement déplaisantes ne vaut pas grand-chose. C'est la qualité de la vieillesse qu'il faut privilégier, et non sa durée.

- « Sans éducation, pas de bonheur » : faux, archifaux même. La poursuite de l'éducation et celle du bonheur ne sont corrélées que jusqu'à un certain point, au-delà duquel la relation s'inverse : plus on devient savant, moins on s'estime heureux (2).

- «  L'argent fait-il le bonheur ? » Ah, l'argent ! C'est en fait le nœud du problème. Mais là encore les études mettent en évidence des nuances intéressantes. D'abord, au niveau collectif, il est désormais clair que le PNB est un faux ami : non seulement il ne capture pas l'essence même du bonheur (individuel par définition), mais il conduit même à des constatations absurdes. Par exemple, les catastrophes naturelles ou intimes (divorces, par exemple) ont un effet positif sur le PNB ; c'est ce qu'on appelle « le paradoxe d'Easterlin », du nom de l'économiste qui a mis ce phénomène en évidence. C'est pourquoi, depuis, tous les gouvernements s'interrogent sur les façons de mesurer leur performance « au-delà du PNB », ce qui est plus flatteur.

 Mais il y a mieux : la croissance du bonheur et celles du portefeuille ne sont elles aussi corrélées que jusqu'à un certain point - variable bien sûr selon les individus et leur environnement. Au-delà, l'accumulation d'argent produit des effets de plus en plus dilués ; et souvent même pervers. Il y a foison d'études décrivant ce phénomène plus ou moins attendu. Pour ce qui est des explications, il faut en rester aux conjectures, bien qu'une sorte de consensus se dessine autour de l'idée que ce n'est pas l'argent qui fait le bonheur, mais le succès. Or dans nos sociétés postmodernes, c'est l'argent qui constitue la principale mesure du succès. CQFD.

(1) notamment : Jorg Schimmel- Springer Science 2007
(2) Michael Argyle - 1999

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