Profession : critique littéraire
Publié en juin 2020. Par Pauline Toulet.
« La critique littéraire est une activité à risque », estime la sociologue Phillipa Chong. Elle parle en connaissance de cause, puisqu’elle a enquêté auprès de quarante critiques qui publient dans de grands quotidiens américains comme The New York Times ou The Washington Post. Elle les a interrogés sur l’origine de leur vocation, leur vision du rôle de la critique et leur éthique professionnelle.
Dans Inside the Critics’ Circle, Chong met en évidence la spécificité de la critique en littérature : s’il est rare que les critiques de cinéma soient aussi metteurs en scène ou que les critiques gastronomiques soient de grands chefs étoilés, les critiques littéraires sont, pour la plupart, également écrivains. Autrement dit, ils jouent dans la même catégorie que ceux qu’ils évaluent, et cela influe sur leur travail : « Ils s’inquiètent des répercussions que pourraient avoir leurs recensions sur leur position au sein du milieu littéraire et sur la façon dont leurs livres seront à leur tour chroniqués. Selon Chong, cela les incite à jouer la prudence », note David Gelber dans The Literary Review. Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, voilà, semble-t-il, l’une des règles d’or de la profession.
Une autre est de « ne cogner que dans la catégorie supérieure » – être clément envers les primo-romanciers, mais ne pas hésiter à tirer à boulets rouges sur Stephen King ou Ian McEwan. La réception critique d’Inside the Critics’ Circle, toutefois, contredit quelque peu les thèses de son auteure. Bien qu’il s’agisse d’un premier livre, certains commentateurs ne mâchent pas leurs mots. À l’instar de Peter Conrad, qui reproche à la sociologue de céder au jargonnage universitaire : « Je n’avais pas réalisé que j’étais censé servir d’“intermédiaire de marché” ou – avec un peu de chance – de “consécrateur culturel” », ironise-t-il dans le quotidien britannique The Guardian. Sam Leith, lui, est même plus sévère : « Chong est juste une écrivaine maladroite », lâche-t-il dans The Times Literary Supplement. Visiblement, la critique de la critique littéraire est, elle aussi, une activité à risque.
À lire aussi dans Books : Les pures raisons de la critique, novembre 2015.