Quand la littérature s’en va à la télé

La semaine dernière, j’ai été invité à assister, dans les studios de France 5 (dans le même immeuble que Canal +), sur le quai Javel André Citroën, à l’émission littéraire, « La grande librairie ». Il y avait là, autour du fringant François Busnel, quatre auteurs. Une sociologue américaine qui publie une étude sur l’infidélité - et qui (du moins, à l’oral) ne semblait pas devoir échapper aux stéréotypes nationaux ; Jacques Chessex, le suisse calviniste qui a conduit, en évoquant son dernier roman Un juif pour l’exemple (Grasset), un réquisitoire (à rebours du stéréotype helvète) contre une Suisse violente ; Tanguy Viel, un jeune homme sympathique qui aligne déjà derrière lui cinq romans de belle facture et donne envie, lui aussi, de lire son Paris-Brest  (Minuit), petite gourmandise mi sucrée mi amère sur le roman familial ; et puis, il y eut l’enthousiasmant John Berger ! Une tête de Beckett, aux traits un peu plus lourds, mais avec le même regard d’oiseau. Un corps de bûcheron, mais doté d’une subtilité de lettré chinois qui aurait conservé un fort accent cockney. Derrière, dans les tribunes, assis sur mon coussinet, je savourais les réponses denses de ce prince laconique. Rien de convenu, ni de prévisible dans ses phrases. Il n’en faisait pas. A chaque fois, il étonnait par ses aperçus. Sur la fiction. « Comment cette idée de fiction vous est-elle venue à la tête ? », lance Busnel. Un temps. Une grimace sur ce visage d’homme de quatre vingt ans, et la réponse : « La fiction n’est pas une idée qui vient à la tête. La fiction ne vient pas par la tête. Ce n’est pas une idée, c’est une écoute. On écoute la vie. La fiction vient à vous par là ». Je résume mal, et en substance, la réponse, en sacrifiant tout ce qui fait l’intérêt de la réponse : la présence d’un anglais qui parle notre langue et qui « pense ailleurs », comme aurait dit Montaigne. Il était invité pour parler de son roman, De A à X, un roman épistolaire (L’Olivier), que j’ai eu une furieuse envie d’acheter à la sortie de l’émission comme la réédition chez le même éditeur d’un livre de photos, déjà ancien, Un métier idéal, qui chroniquait, en textes et en images, la vie dans les années soixante d’un de ses amis, médecin de campagne anglais, John Sassal. Du Balzac britannique – le médecin s’est suicidé bien des années après l’enquête ! Je ne résiste pas au plaisir de vous glisser la première phrase de cette enquête qui pourrait faire réfléchir des générations d’élèves paysagistes : « Les paysages peuvent être trompeurs. Un paysage semble parfois être moins un décor pour la vie de ses habitants qu’un rideau derrière lequel se déroulent leurs combats, leurs réussites, leurs malheurs… ». Le livre est court. Comme ses réponses. Mais comme disait Platon, on aime les hommes concis « dont les discours enferment moins de mots que de sens »…
LE LIVRE
LE LIVRE

1968. Le long chemin de la démocratie de Quand la littérature s’en va à la télé, Cal y arena

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