La recherche sur la polio, une histoire d’égos
Publié le 31 octobre 2019. Par Amandine Meunier.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé le 24 octobre l’éradication d’une deuxième souche du virus de la polio. Une seule souche sauvage continue de circuler dans deux pays seulement : l’Afghanistan et le Pakistan.
La lutte contre la poliomyélite commence au tout début du XXe siècle après le déclenchement de plusieurs épidémies dans les pays occidentaux. Son histoire est typique de la façon chaotique dont la recherche médicale progresse, observe Gareth Williams, professeur de médecine à l’université de Bristol, dans Paralysed with Fear.
Face à cette maladie qui touche essentiellement les jeunes enfants et entraîne des infirmités motrices voire une paralysie irréversible, les chercheurs se lancent dans une course effrénée, mus par le désir de soigner, mais aussi par leur égo et les enjeux financiers.
Après avoir écarté la piste bactérienne, en vogue à l’époque, la communauté scientifique admet qu’elle se trouve face à un virus mais diverge sur son mode de transmission. Dès 1911, le Suédois Carl Kling conclut que la contamination se fait par la voie intestinale. Mais sa théorie ne sera prise au sérieux que lorsque les équipes de l’université Rockefeller de New York, en pointe sur le sujet, écarteront définitivement la leur en 1938. Elles soutiennent que le virus se transmet par la muqueuse du nez et testent à cet effet d’inefficaces sprays nasaux sur des enfants qui perdront pour certains l’odorat. Pendant toutes ces années, la maladie continue à faire des ravages et les premières tentatives d’élaboration d’un vaccin sont tournées en ridicule.
Il faut attendre les années 1950 pour que le premier vaccin soit mis au point non sans avoir donné lieu à une compétition épique entre deux médecins américains. Jonas Salk obtient en 1954 un vaccin injectable à partir d’une souche de virus inactivée. Son produit est commercialisé cette année même, mais un laboratoire ayant intégré des virus vivants dans ses doses contamine 220 000 personnes (10 décèdent, 164 restent paralysées). Deux ans plus tard, Albert Sabin met au point un vaccin oral, qui aura plus succès car plus facile à administrer. La rivalité entre les deux hommes durera jusqu’à leur mort. Tous les deux ont employé les mêmes méthodes, impensables aujourd’hui. Ils ont testé leurs produits sur eux-mêmes, leurs équipes, leur famille et des publics « captifs » : des enfants handicapés pour Salk et des prisonniers pour Sabin.
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