Retours de guerre

Le 8 mai 1945, la guerre prend officiellement fin en Europe. « On a généralement l’impression qu’après cela les choses sont d’une façon ou d’une autre revenues à la normale, écrit Keith Lowe dans le Telegraph. Bien sûr, il y avait beaucoup à reconstruire, mais l’Histoire avec un grand “H” n’aurait repris qu’avec la guerre froide. » Une impression fausse, que dissipe Ben Shephard dans ce livre abondamment commenté. L’historien s’est intéressé à la façon dont les Alliés prirent en charge les millions de « personnes déplacées », chassées de leurs pays par six années de conflit…

Le 8 mai 1945, la guerre prend officiellement fin en Europe. « On a généralement l’impression qu’après cela les choses sont d’une façon ou d’une autre revenues à la normale, écrit Keith Lowe dans le Telegraph. Bien sûr, il y avait beaucoup à reconstruire, mais l’Histoire avec un grand “H” n’aurait repris qu’avec la guerre froide. » Une impression fausse, que dissipe Ben Shephard dans ce livre abondamment commenté. L’historien s’est intéressé à la façon dont les Alliés prirent en charge les millions de « personnes déplacées », chassées de leurs pays par six années de conflit.

La plupart prirent le chemin du retour dès la fin des combats. « Mais tout le monde ne voulait pas rentrer – ni ne savait où se trouvait sa véritable patrie », explique Peter Preston dans le Guardian. Parmi eux, « les Juifs polonais menacés de mort s’ils venaient réclamer leurs biens après leur libération des camps ; les cosaques russes de Yougoslavie qui préféraient se suicider plutôt que de tomber entre les mains de Staline et de Tito ; les Allemands des Sudètes et de Prusse orientale, victimes de nettoyage ethnique ; et les Juifs à qui les Britanniques refusèrent l’entrée en Palestine », énumère Andrew Roberts dans le New Statesman. Sans oublier, précise Preston, ces « Polonais, Ukrainiens, Baltes ou Russes qui avaient fait tourner les usines de Hitler en Allemagne, volontairement pour certains, contraints pour d’autres », et fuyaient désormais les communistes. En 1947, on recensait encore plus de 1 million de personnes déplacées en Allemagne, en Autriche et en Italie, dont la majorité vivait dans des camps. Leur gestion fut un temps assurée par une agence aujourd’hui oubliée : l’UNRRA (Administration des Nations unies pour le secours et la réhabilitation), mise sur pied dès 1943, « pour éviter la tragédie qu’avait connue l’Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale, quand les épidémies et la malnutrition avaient fait des centaines de milliers de morts », rapporte Roberts, qui rappelle que Churchill s’était préoccupé de cette question dès 1941.

Le livre a le mérite d’« explorer les années 1940 en chaussant les lunettes de l’époque », salue William Shawcross dans le Wall Street Journal. Il explique notamment que « le concept d’Holocauste n’existait pas alors. Il n’y avait pas de “survivants de l’Holocauste”, mais des millions de personnes déplacées ». Beaucoup d’erreurs furent commises. Mais, pour Richard Toye, auteur d’une critique dans le New York Times, « il serait injuste de trop se focaliser sur les hypocrisies, les injustices et les absurdités qui émaillèrent l’effort humanitaire après guerre. La famine généralisée fut évitée, ce qui en soi n’était pas une mince affaire ». « En racontant à la fois les erreurs et les réussites des pays vainqueurs, Shephard décrit les fondations du monde où nous vivons », ajoute Shawcross. Car la politique à l’égard des réfugiés a eu des conséquences durables, au premier rang desquelles « la création d’Israël ou la mise en place de nouvelles normes juridiques internationales, accordant des droits aux individus aussi bien qu’aux États ».

LE LIVRE
LE LIVRE

Le long chemin du retour de Ben Shephard, Vintage, 2011

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