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« Rosa Luxemburg »


Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, cofondateurs de la Ligue spartakiste et du tout récent Parti communiste d’Allemagne, sont assassinés à Berlin, dans le cadre de la répression du soulèvement spartakiste. Figure de l’Internationale ouvrière, Rosa Luxemburg était une oratrice hors pair, comme le rappelle cet article paru le 19 juillet 1916 dans le quotidien La France. Son auteur rapporte une scène survenue douze ans plus tôt, lors d’un congrès international socialiste. Rosa Luxemburg y avait remis à sa place un Jaurès médusé.

 

Rosa Luxemburg est une petite femme sans âge, légèrement claudicante et qui ne déploie pas plus de charme que n’ont accoutumé de le faire les féministes de tous les pays. Elle a, durant de longues années, avec sa camarade, Clara Zetkin, rempli de ses cris passionnés les Congrès de la Socialdémocratie. Les « Genossen » [« camarades »] redoutaient avant tout ses « furies » qui déconcertaient leur placidité très révolutionnaire.

Je revois Rosa Luxemburg au Congrès d’Amsterdam, qui marque une des dates les plus fameuses de l’histoire de l’Internationale. Elle était positivement enragée. On discutait alors de la participation d’un socialiste au pouvoir bourgeois. Jaurès faisait face à Bebel. Il reprit trois fois ses arguments dans trois discours sans jamais se répéter, écrasant ses adversaires sous son merveilleux génie oratoire. Les Allemands résistaient si mal à l’assaut qu’il leur livrait qu’il fallut la rude voix du sergent Bebel pour les ramener à la discipline.

Rosa Luxemburg cependant restait insensible à tout le talent passionné que faisait paraître Jaurès. Il n’avait pas fini de parler, qu’à son tour elle fit entendre sa voix coupante. Elle rappela l’orateur au respect des textes marxistes. Et le bon Jaurès n’en revenait pas que cette petite femme, redressant sur son petit corps difforme sa grande tête chevaline, pût lui donner sur les doigts. Elle alla très loin dans sa polémique : emportée par son élan – prophétesse stigmatisant les gentils – elle en vint à reprocher à Jaurès qu’il osât, malgré sa violation constante de la loi socialiste, conserver sa florissante santé.

Ce fut un éclat de rire dans toute la Commission ; mais Jaurès était ému plus qu’il ne le voulait montrer. Il resta coi cette fois, ce qui était bien la meilleure manière qu’il eut de prouver son étonnement. Descendue de son trépied, Rosa Luxemburg se rasséréna. Dix minutes ne s’étaient pas écoulées qu’elle offrait à Jaurès une pastille aussi gracieusement que sa nature le lui permettait : – « N’en prenez pas, glissa à l’oreille de Jaurès M. Briand – qui ne prenait rien au tragique de toutes les « genosseneries » —elles sont empoisonnées. »

Elle était sincère quand elle accusait ses amis de la Socialdémocratie de trop de faiblesse à l’égard du Gouvernement. Elle était prête, elle, à joindre le geste à la parole. Ils encombrent les antichambres du pouvoir […]. Elle vient d’être arrêtée pour avoir participé à la distribution de « tracts » incitant le peuple à se révolter contre l’impérialisme.

Le Gouvernement allemand lui devrait tout de même plus de reconnaissance. N’est-ce pas elle qui empêcha la formation d’un parti socialiste polonais à tendance nationale ? N’est-ce pas elle qui mena le plus rudement ce combat contre le tsarisme qui favorisa si singulièrement les menées belliqueuses du pangermanisme ?

Elle n’avait, c’est aujourd’hui certain, d’autre but, en agissant ainsi que de rester fidèle à la lettre de sa doctrine. Son courage et sa bonne foi sont hors de cause […].

Rosa Luxemburg, maltraitée par les policiers du Kaiser, sauvera ce qui peut être sauvé de l’honneur de son parti, c’est-à-dire fort peu de chose, mais après la victoire des alliés, son nom comme celui de Liebknecht sera cher au peuple allemand qui en voudra au Kaiser de s’être laissé si facilement duper.

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