Sacré livre
Publié en janvier 2009. Par Jean-Louis de Montesquiou.
Dans son premier numéro de l'année, le Nouvel Obs consacre une brève extrêmement négative à l’e-book (rubrique : « En Baisse » - il faut remarquer, néanmoins, que la rubrique symétrique, « En Hausse », est un vibrant éloge de Books, que le journaliste déclare « quasiment parfait »!)
Je ne résiste pas à citer quelques lignes de ce « dézingage » en règle de l’e-book : « Il se rapproche autant du livre que d'une banane » ; « qui a envie de poser son [e-book] de chevet sur la table de nuit où, autrefois, vous attendait votre livre fétiche ? », etc.
Ces commentaires, comme souvent, strictement émotionnels, témoignent d'une vision mythique et romantique du Livre, avec un L majuscule. Justifiée ?
Pas vraiment ! Car qu'est-ce qu'un livre ? Ce qu'on vénère aujourd'hui avec passion et un brin de nostalgie, c'est le fruit de la convergence entre le codex, le papier, et l'imprimerie. Cette convergence ne remonte pourtant qu’au XVIe siècle. Auparavant, chacun de ces éléments existait déjà, mais dans une combinatoire différente. Le papier a paru au IIIe siècle av. J-C. en Chine, mais n'a débarqué pour de vrai en Europe qu'au XIIe siècle ; le papyrus (qui a donné au livre son nom grec, byblos), et le parchemin, l’avaient largement devancé. L'imprimerie véritable, avec utilisation de caractères métalliques, est une invention coréenne qui remonte, elle, au XIIIe siècle, mais n'a pris son véritable essor qu'en Europe. Au début de l'ère Gutenberg, on imprimait encore les livres sur parchemin autant que sur papier. Quant au codex - l'assemblage de pages reliées entre elles - c'est une innovation romaine (le fruit de l'évolution de la tablette au rouleau, puis du rouleau, plié en accordéon, à la page) mais c'est le christianisme qui l'a vraiment popularisée.
En fait, le livre comme vecteur de savoir ou de plaisir a connu - et continue de connaître - des formes multiples, de l'empilement de tablettes d'argile aux feuilles de papyrus collées bout-à-bout et enroulées sur elles-mêmes, en passant par les plaquettes de bois cousues ensemble... Et sur la page elle-même, les évolutions alphabétiques et typographiques ont été tout aussi spectaculaires : par exemple, la coupure entre les mots, si commode, ce sont les moines copistes irlandais qui l’ont introduite au VIIe siècle seulement.
S'il fallait choisir un dénominateur commun à tous ces supports de lecture, ce serait probablement l’encre : une invention qui remonte à la plus haute Antiquité, et qui a connu depuis tous les ingrédients, toutes les formulations chimiques possibles et imaginables. Aujourd'hui, nous abordons aux rivages encore un peu incertains de l'encre électronique (e-ink). Bon ! Mais où est donc le drame ? Le sentimentalisme des anti e-book a bien peu de fondement.