Tout peut arriver


Quelles sont les probabilités d’une deuxième vague d’infections au coronavirus en France ? Quels sont les risques de voir se rééditer une crise économique comparable à celle de 1929 ?

Si l’on en croit les deux éminents économistes britanniques John Kay et Mervyn King, il ne faudrait surtout pas avancer de chiffres et autres pourcentages pour répondre à ces questions. Dans Radical Uncertainty, leur livre paru fin 2019, ils expliquent que ces calculs de risque reviennent à envisager l’avenir comme un jeu de roulette, ce qu’il n’est pas. À la roulette, le joueur ne sait pas où la boule va terminer sa course, mais il connaît toutes les cases sur lesquelles elle peut s’arrêter et peut donc calculer ses chances. Dans la vie, l’incertitude, avec dans son sillage l’ignorance, l’approximation, l’ambiguïté…, fait qu’il est même impossible d’envisager toutes les possibilités.

Réhabiliter la notion d’incertitude radicale

C’est ce que l’économiste Frank Knight appelait « l’incertitude radicale ». Kay et King plaident pour un retour à cette notion aussi adoptée par John Maynard Keynes. Knight et Keynes envisageaient d’ailleurs différemment les conséquences de cette « incertitude radicale ». Pour le premier, elle offre des opportunités pour les entrepreneurs ; pour le second, elle est surtout une source d’instabilité. Mais cette notion a été battue en brèche par les économistes et statisticiens Frank Ramsey et Jimmie Savage, notamment. Selon eux, toutes les possibilités peuvent être décrites par des calculs de probabilité, le monde étant régi par des règles profondément rationnelles et des lois bien établies. C’est cette vision du monde économique, bien commode, qui s’est imposée.

Les modèles statistiques ne décrivent pas la réalité

Mais à trop s’appuyer sur des modèles statistiques, économistes et décideurs tendent aujourd’hui à oublier que ceux-ci ne décrivent pas la réalité, regrettent Kay et King. Ces derniers rappellent que cette conception de l’économie n’a pas permis de prédire la crise de 2008. Les modèles probabilistes, selon eux, donnent au mieux un faux sentiment de précision. Mais ils ont surtout des conséquences. Car, contrairement à un domaine comme la physique où énoncer une hypothèse sur l’orbite de Vénus ne changera pas celle-ci, en économie annoncer qu’un pays se dirige droit vers la pire crise de son histoire peut jouer sur l’ampleur même de cette crise. King et Kay préconisent donc de prendre les modèles pour ce qu’ils sont, des outils, et plutôt de se fier à l’intelligence collective des spécialistes – surtout ceux qui n’hésitent pas à dire « je ne sais pas ce qu’il va se passer. »

 

À lire aussi dans Books : Pourquoi les experts se trompent si souvent ?, avril 2020.

LE LIVRE
LE LIVRE

Radical Uncertainty: Decision-Making Beyond the Numbers de John Kay et Mervyn King, Norton, 2019

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