Un médecin espagnol dans l’enfer du goulag

En 1939, quand la Catalogne tombe aux mains des forces franquistes à la fin de la guerre d’Espagne, Julián Fuster Ribó décide de fuir en URSS. Ce chirurgien barcelonais, membre du Parti communiste et reconnaissant du soutien que les Soviétiques ont apporté au camp républicain, ne peut imaginer que son exil le mènera tout droit au goulag. Quelques années d’exercice au sein de l’Institut de neurochirurgie de Moscou auront en effet raison de ses illusions. Ses critiques du régime soviétique et du culte de la personnalité de Staline le placent dans le collimateur de la police politique. En janvier 1948, Fuster Ribó est arrêté, interrogé, torturé et finalement condamné pour « espionnage » et « propagande antisoviétique ». Il passera sept années dans le camp de travail de Kengir, avant d’être libéré en 1955.

Dans Cartas desde el Gulag, la politiste et historienne Luiza Iordache Cârstea retrace l’itinéraire singulier du Dr Fuster et explore, à travers lui, un pan méconnu de l’histoire du XXe siècle. Environ 345 Espagnols qui, fuyant la guerre civile, avaient trouvé refuge en Union soviétique furent envoyés au goulag, apprend-on. « En plus du matériau issu des archives espagnoles et européennes, Luiza Iordache Cârstea s’est appuyée sur des entretiens et des documents rassemblés par d’autres exilés espagnols en URSS, ainsi que sur “les archives personnelles de Julián Fuster Ribó mises à disposition par son fils Rafael” », note le site d’information El Independiente. Parmi ces archives personnelles, de nombreuses lettres adressées à une femme aimée, Nadejda Gordovitch, dans lesquelles il décrit par le menu la rudesse de la vie concentrationnaire.

Étant donné la rareté des témoignages d’anciens détenus des camps soviétiques, l’historien Juan Avilés qualifie les lettres de Fuster Ribó de véritable « trésor ». Un trésor d’autant plus précieux que le médecin espagnol « a vu de ses yeux un épisode célèbre de l’histoire du goulag : le soulèvement du camp de travail de Kengir au printemps 1954 », souligne-t-il dans le magazine El Cultural. Jusqu’à présent, l’un des seuls récits connus de cet événement était celui d’Alexandre Soljenitsyne dans L’Archipel du Goulag. Un certain « Fuster l’Espagnol » est mentionné en passant – le voilà désormais tiré de l’oubli.

LE LIVRE
LE LIVRE

Cartas desde el Gulag. Julián Fuster Ribó, un español en la Unión Soviética de Stalin de Luiza Iordache Cârstea, Alianza, 2020

SUR LE MÊME THÈME

Lu d'ailleurs De l’avantage d’être un État fantôme
Médiocres milléniaux
Espionne et mère de famille  

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire