Vidéo Kony : la célébrité, outil de maintien de l’ordre

Premier épisode d'un blog en deux parties sur cette célèbre vidéo dénonçant, sur Internet, le criminel de guerre ougandais Joseph Kony.

Plus de 100 millions de personnes dans le monde ont regardé la vidéo consacrée à Joseph Kony, un chef de guerre ougandais pourchassé sans succès depuis des années par les instances internationales. On sait peu de choses de cet étrange personnage, sauf qu'il est d'une cruauté sans limite, et qu’il a inventé, ou du moins raffiné, l'enrôlement forcé des enfants – méthode imparable, avec laquelle il se procure aisément des troupes faciles à sacrifier (au moins 30 000 à ce jour), indéfiniment renouvelables, et dont la partie féminine, une fois les combats de la journée terminés, sert aussi aux tâches domestiques et au repos du guerrier. Il a ainsi kidnappé en 1996 toutes les jeunes élèves d’une école religieuse d’Aboke, gardant les plus claires de peau pour lui (il les a jointes à ses 88 « épouses »), donnant les autres à ses lieutenants.

En appui doctrinal de ses exactions, Kony n’offre guère que l’obligation de soumettre l’Ouganda à « la Loi des Dix Commandements », après avoir d’abord éliminé le pouvoir en place. Au fil de ses sermons – qui peuvent durer huit heures – l’ancien sacristain agrémente aussi son culte de quelques particularités, comme un recours immodéré à l’eau bénite, l’interdiction de la bicyclette (les contrevenants ont les jambes coupées), ou celle de manger du porc (les éleveurs sont livrés à leur bétail). Il fait aussi grand usage (maléfique) des esprits.

Quand on connaît les pratiques de Kony – exécution des parents par leurs propres enfants, tortures invraisemblables, témoins énucléés avec du fil de fer ou dont on coupe le langue ou les lèvres – on n’hésite pas à voir en lui une incarnation postmoderne du mal absolu, et à s’indigner qu’il courre et sévisse encore, malgré de nombreuses tentatives pour l’amener à la table de négociation (il fait régulièrement faux-bond à la dernière minute) ou pour bombarder ses campements. Mais Kony est insaisissable : il arpente sans fin les confins inaccessibles de l’Ouganda, du Sud-Soudan, de la RDC et de la RCA, se débarrasse de ses lieutenants au moindre signe de défaillance, et se réapprovisionne en chair à canon (et en chair fraîche) dès qu’il le faut, comme encore au début du mois dernier en raidant des villages du Nord-Congo.

La vidéo « Invisible Children » représente un tournant dans l’histoire de la lutte contre le criminel Kony, et sans doute dans l’histoire tout court. Car, clame son auteur, Jason Russell, c’est la première fois qu’une initiative citoyenne internationale réussit à contraindre un État tiers (en l’occurrence les États-Unis) à s’engager dans un conflit pour des raisons strictement humanitaires : Obama vient d’envoyer sur place une centaine de « conseillers militaires », et ce malgré l’absence de toute menace directe ou de tout intérêt économique ! C’est donc une première démonstration qu’à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, l’opinion publique mondiale est désormais un « concept nouveau sur lequel il va falloir compter ».

C’est enfin peut-être la première fois que la célébrité est transformée en arme de guerre, et qu’en rendant Kony mondialement connu, on le prive de sa dangereuse invisibilité. Au pays d’Hollywood, voilà un retournement lourd de sens !

« Bad Guy » irrécusable, méthodologie efficace, résultat probable, sinon garanti : comment s’étonner que cette vidéo, instantanément devenue « virale », ait eu un tel succès ? Hélas, sur le terrain, c’est à dire en Ouganda, la réalité est tout autre…

Jean-Louis de Montesquiou

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