Yunus : du microcrédit à l’entrepreneuriat social

La semaine parisienne qui s'achève aura été la semaine Mohamed Yunus : débat au Salon des Entrepreneurs, rédaction d'un numéro  de Libé, super-raout ici, grande conférence là, télés, un film en préparation, et on en passe... Le charismatique fondateur de la Grameen Bank, pape du microcrédit et lauréat d’un prix Nobel de la Paix 2006 qui aurait aussi bien pu être celui d’Economie, a été mis à toutes les sauces.


Pourtant, si l'on prête l'oreille, le maître mot du discours de Yunus, cette fois-ci, n'était plus tellement « micro crédit » mais « entrepreneuriat social ». La cause du micro crédit est en effet entendue : c'est une activité qui pèse plus de 11 milliards de dollars mondialement, un des principaux leviers contre la pauvreté, et comme le dit Yunus lui-même, un authentique « droit de l'homme ». L'entrepreneuriat social est en revanche une notion encore un peu mystérieuse, surtout en France.


Pourtant on pourrait dire que c'est une idée française : sous Colbert, les créations de Manufactures étaient soumises à l'octroi de Lettres Patentes justifiées par « le bien public » (dans une définition certes plus politique que sociale). Et c'est en effet cette idée d'intérêt social qui sous-tend tout ce pan de l'économie qu'on peut appeler, faute d'un meilleur terme, le « Troisième Secteur » : ni le public (les Etats), ni le privé (les entreprises capitalistes), mais tout ce qui se trouve entre les deux ou bien au-delà : associations, ONG, universités, églises etc.  Un pan de l'économie qui, en cumulé, pèse tout de même, à l’échelle mondiale, 2 700 milliards de dollars, soit nettement plus que le PNB de la France ! Et qui se signale de plus par un dynamisme spectaculaire : près de 25 % de croissance l'an dernier.


À vrai dire, au sein du Troisième Secteur, « l'entrepreneuriat social » lui-même recouvre des choses assez diverses, dont le point commun est cependant celui-ci : l'activité de l’entreprise commerciale doit être à double finalité, économique et sociale ; elle doit générer un profit financier mais aussi des « dividendes sociaux ». Ceci laisse pas mal de marge à l'interprétation : de la notion de «sustainability » (l'entreprise doit être suffisamment rentable pour survivre, mais pas plus) au radicalisme à la Yunus (réinvestissement automatique de tous les profits). Il y a même de la place dans ce concept pour de grands groupes industriels - Unilever, Danone, Essilor, et de plus en plus d'autres - qui ont pris conscience que leur intérêt bien compris était d'orienter une partie de leurs efforts vers la clientèle du « bas de la pyramide », les très pauvres, un marché de plus de 2 milliards d'individus qui représente un colossal réservoir de croissance.


Bien souvent ce qui sous-tend l'initiative d'un « entrepreneur social », c'est le sentiment plus ou moins formulé que la vraie bombe à retardement qui nous menace n'est pas tant écologique que sociale. Ou plutôt, que la mèche de la bombe sociale est singulièrement plus courte. C'est vrai au niveau national - les banlieues etc. - mais encore plus au niveau planétaire : les 20 % les plus riches - c'est-à-dire nous - détiennent 85 % des actifs économiques mondiaux, tandis que les autres 80% de l'humanité n'en possèdent que 15 % (dont, pour les 20 % les plus pauvres, seulement 1,5 %). Voilà une distribution en principe insoutenable et donc fortement explosive, à court ou moyen terme. Pour retrouver, au niveau national, l'équivalent d'une répartition aussi inégale des richesses, il faut remonter assez loin dans le temps : par exemple, en France, jusqu'aux années prérévolutionnaires !


Si Mohamed Yunus fait autant pour la notoriété de l'entrepreneuriat social qu'il l'a fait pour le micro crédit, la planète lui devra une - non, deux - fières chandelles.

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