Le self-made man n’est pas riche
Adama Barrow, élu président de la Gambie, est agent immobilier. Il a construit son entreprise grâce aux économies réalisées pendant ses années en tant qu’agent de sécurité en Grande-Bretagne. Il est présenté comme le modèle du « self-made man » africain. Si aujourd’hui cette expression américaine est devenue synonyme d’entrepreneur à succès, elle n’avait à l’origine pas de connotation économique, note Daniel Walker Howe dans Making the American Self. « Peu d’expressions dans notre langue ont été autant malmenées que le terme self-made man, écrit-il. Parmi les intellectuels du moins, elle est aujourd’hui une platitude synonyme d’individualisme obsolète. » Le terme a été popularisé en 1828 par le sénateur américain Henry Clay. Dans l’un de ses discours, il affirme : « dans le Kentucky, presque toutes les manufactures que je connais appartiennent à d’entreprenants self-made men, qui ont acquis leur richesse grâce un travail patient et consciencieux. » Dans les années suivantes, l’expression devient à la mode. L’essayiste Charles Seymour publie en 1858 sous le titre Self-Made Men une collection de soixante biographies. En 1872, Harriet Beecher Stowe publie The Lives and Deeds of our Self-Made Men, consacré à des héros de la guerre civile et des activistes engagés contre l’esclavage. L’archétype du self-made man est alors Abraham Lincoln. L’expression désigne avant tout un héros. Dans la deuxième moitié du XIXe, le terme est encore employé au-delà des registres de l’économie et de la politique. Rockefeller est considéré un self-made man, mais Ralph Waldo Emerson aussi. Au départ, le concept aurait même une origine religieuse. Il serait né de l’impératif protestant de souligner la relation personnelle avec Dieu. En mettant la conscience individuelle au premier plan, il valorise le fait de s’élever (moralement) uniquement par la force de son travail personnel. Des premiers colons religieux américains le concept s’est étendu aux fermiers de la toute nouvelle république, puis aux professionnels urbains. Ce n’est qu’au XXe siècle que le succès économique est devenu sa marque de fabrique.