Race et ascendance

On entend parfois dire que la philosophie ne sert à rien. C’est pourtant un outil. Comme un silex ou Internet, tout dépend de la manière dont on s’en sert. Quand elle est employée à démêler le sens des mots, à dégager le bon grain de l’ivraie, à clarifier les concepts, elle est fort utile. Témoin ce livre étonnant, paru en 2018 : Rethinking Race (« Repenser la notion de race »). L’auteur, Michael O. Hardimon, enseigne la philosophie à l’université de Californie à San Diego. C’est un spécialiste de Kant et de Hegel. Rien de très original jusqu’ici. Son livre précédent porte sur la philosophie sociale de Hegel. Mais depuis des années, son hobby, si l’on peut dire, consiste à s’interroger sur le concept de race. Il est assez bien placé pour le faire. Comme il le dit dans l’introduction de son livre, il est de mère blanche et de père noir. Il distingue quatre acceptions du mot « race », que je présente ici dans un ordre différent du sien. Il y a d’abord la « conception racialiste de la race ». Le mot « racialiste » est plus usité en anglais qu’en français, mais il existe aussi dans notre langue. Comme feu notre ami Tzvetan Todorov, Hardimon l’emploie pour désigner une idéologie : la croyance que les races ont une essence biologique permettant de les -hiérarchiser. Pour désigner la deuxième conception, Hardimon emploie un néologisme pas très heureux, qu’il écrit en lettres capitales : SOCIALRACE. C’est le fait d’exprimer son animosité à l’égard d’un groupe social, même si celui-ci ne se distingue pas par des traits physiques évoquant la notion habituelle de race. Ainsi des juifs. Une déviation du racialisme, en quelque sorte. Ces deux premiers concepts relèvent de fantasmes. Il convient de les rejeter. Il en va différemment des deux autres. Selon le sens « populationniste », les différences physiques que l’on peut constater entre une population africaine et une population asiatique, par exemple, se sont développées au cours de l’histoire -d’Homo -sapiens, à la faveur de migrations et d’effets d’isolement de longue durée. Ce concept fait l’objet de nombreux travaux scientifiques, l’arbre des causes restant incertain. Enfin, il y a ce que Hardimon appelle le « concept minimaliste ». Ce n’est pas une idée mais un fait. Il y a des différences superficielles mais visibles entre de grands groupes humains (« les Africains noirs, les Eurasiens, les Asiatiques de l’Est, les Amérindiens et les Océaniens »), des différences physiques et de prédisposition à certaines maladies. Elles sont fondées sur une ascendance liée à l’origine géographique. Bien sûr, les frontières sont brouillées, et, au sein d’un même groupe racial, tous les individus ne possèdent pas tous les attributs associés à ce groupe. « L’appartenance d’un individu à une race au sens minimaliste n’est pas déterminée par ses caractères individuels mais par son ascendance. » Hardimon prend pour cible ce qu’il appelle l’« éliminativisme ». Non pas l’idée d’éliminer telle ou telle race honnie, mais celle d’éliminer la notion même de race. Chacun le sait, et lui en particulier : la race ne saurait être réduite à une « construction sociale » – comme beaucoup d’anthropologues animés de bons sentiments ont voulu nous le faire croire. L’origine raciale est une réalité que la science et la médecine sont en mesure d’explorer. Le nier attise les fantasmes.

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