Aux États-Unis, le désespoir tue par milliers
Publié le 21 avril 2020. Par Pauline Toulet.
À partir de 1900 et pendant plus d’un siècle, l’espérance de vie a progressivement augmenté aux États-Unis. Mais curieusement, depuis 2014, elle est en recul. Alors qui meurt et pourquoi ? Ce sont les deux questions que se sont posées Anne Case et Angus Deaton (lauréat du prix Nobel d’économie en 2015), un couple d’économistes de l’université de Princeton.
Dans Deaths of Despair, ils montrent que ce déclin de l’espérance de vie ne concerne en réalité qu’une catégorie bien précise de la population américaine : les hommes blancs, d’âge moyen (45-54 ans), peu instruits. Et de quoi meurent-ils ? De « désespoir ». Chez eux, on observe en effet une forte augmentation du nombre de suicides et de morts liées à une surdose de médicaments ou à l’abus d’alcool. Rien qu’en 2017, 158 000 Américains seraient ainsi « morts de désespoir ».
Augmentation des suicides
À l’origine de leur accablement, un sentiment de déclassement nourri par la baisse de leur pouvoir d’achat et la précarisation croissante de leurs emplois. Et cela, alors même que la situation des diplômés s’améliorait sensiblement. Tout comme celle des Noirs et des Latinos. « Mourir de désespoir n’est pas qu’un phénomène américain. La même chose s’est produite en Russie, après la chute du communisme […], de telles morts résultent de la dissolution des structures sociales qui conféraient un sens à la vie des gens. Mais les États-Unis sont peut-être particulièrement vulnérables à ce genre d’événements, en raison de l’individualisme prégnant et d’une certaine tendance à associer réussite économique et prestige social », analyse l’économiste britannique David Canning dans la revue Science.
Individualisme et désespoir
Se sentant exclus du rêve américain, les « petits Blancs » trouvent une consolation dans les paradis artificiels, expliquent les auteurs. Et la défaillance du système de santé américain a tôt fait de transformer leur désespoir en catastrophe sanitaire, comme en témoigne la récente crise des opioïdes. « La colère de Case et Deaton cible essentiellement le secteur de la santé, qui non seulement donne de mauvais résultats mais en plus coule l’économie américaine. Nos dépenses de santé par habitant sont deux fois plus élevées qu’en France, mais notre espérance de vie est inférieure de quatre ans, nos taux de mortalité infantile et maternelle sont près de deux fois plus élevés et, contrairement à la France, il y a chez nous 30 millions de personnes qui sont dépourvues d’assurance maladie », pointe la biologiste Helen Epstein dans The New York Review of Books.
À lire aussi dans Books : La revanche des Blancs déclassés, septembre/octobre 2017.
