Fascination

« Les sujets relevant de la conduite à suivre et de ce qui est bon pour nous n’ont pas de fixité », écrivait Aristote dans son Éthique à Nicomaque. Rien n’illustre mieux cette formule que les comportements liés au sexe. Parlant de son livre Le Sexe et l’Effroi, le romancier Pascal Quignard s’étonnait d’avoir « découvert que, contrairement à ce qu’affirmait par exemple Georges Bataille dans Les Larmes d’Éros, il existe d’énormes différences entre l’érotisme joyeux, le culte du corps, en Grèce, et l’érotisme de plus en plus effrayé, de plus en plus fasciné, du monde romain ». Le mot « fasciné » renvoie ici au fascinus, qui désignait les pouvoirs religieux ou magiques associés au membre viril. Saint Augustin, venu sur le tard à la religion chrétienne, exprime son effroi devant les manifestations de cette croyance : « Varron rapporte qu’en certains lieux de l’Italie, aux fêtes de Liber [Bacchus], la licence était poussée au point d’adorer, en l’honneur de ce dieu, les parties viriles de l’homme, non dans le secret pour épargner la pudeur, mais en public pour étaler l’impudicité. On plaçait en triomphe ce membre honteux sur un char que l’on conduisait dans la ville, après l’avoir d’abord promené à travers la campagne. À Lavinium, on consacrait à Liber un mois entier, pendant lequel chacun se donnait carrière en discours scandaleux, jusqu’au moment où le membre obscène, après avoir traversé la place publique, était mis en repos dans le lieu destiné à le recevoir. Là il fallait que la mère de famille la plus honnête allât couronner ce déshonnête objet devant tous les spectateurs (1). » Honteux pour les uns, sacré pour les autres. L’attitude à l’égard de la sexualité varie avec une étonnante amplitude non seulement d’une époque à l’autre et d’une région à l’autre, mais aussi entre les groupes sociaux, les communautés et d’un individu à l’autre au sein d’un même groupe, d’une même communauté, d’une même famille. Alors qu’en Angleterre le philosophe Derek Parfit expose aujourd’hui, dans un fort volume, les raisons de penser que la morale peut être fondée en raison, sur des principes aussi fermes que l’arithmétique (2), la question du sexe nous invite plutôt à rappeler la célèbre formule de Montaigne : « Certes c’est un sujet merveilleusement vain, divers et ondoyant que l’homme. Il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme. »

Notes

1| La Cité de Dieu, VII, 21.

2| On What Matters, 2 vol., 1 440 p., Oxford University Press, 2011.

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