Et Kennedy gagna les élections

L’élection présidentielle américaine s’annonce serrée. Une petite entreprise propose à l’un des partis de mieux cerner ses électeurs grâce une technologie compilant de vastes quantités de données. Et son candidat, qui semblait le moins bien placé, l’emporte de peu. Il ne s’agit ni de Donald Trump et Cambridge Analytica en 2016, mais de John F. Kennedy en 1960 et d’une entreprise aujourd’hui complètement oubliée, Simulmatics Corporation. L’historienne américaine Jill Lepore retrace la brève histoire de cette firme qui, selon elle, « a inventé le futur » dans If Then.

De Simulmatics à Cambridge Analytica

 Fondée l’année précédant l’élection, par un publiciste et fervent supporter du Parti démocrate Ed Greenfield, Simulmatics ambitionne de prédire comment les électeurs réagiront à telle ou telle déclaration des candidats. Elle met au point un système classant les votants en 480 catégories (sexe, blanc, protestant, urbain, etc.) et utilisant les réponses aux derniers sondages et les résultats électoraux des quatre dernières élections. « C’est le genre d’analyse courante aujourd’hui dans un monde où les campagnes politiques sont microciblées et gavées de données, mais à l’époque tout cela était nouveau et devait faire ses preuves », note Shannon Bond sur le site de la radio publique américaine NPR. Simulmatics a fourni trois rapports à l’équipe de campagne de Kennedy, mais qui ne contenaient rien de ce que les conseillers du candidat ne sachent déjà.

 C’est là le défaut de If Then, assure Seth Mnookin dans The New York Times. « Lepore tente de faire de Simulmatics une parabole et un précurseur d’"un XXIe siècle obsédé par les données et quasi totalitaire", mais elle ne peut pas passer outre le fait que cette entreprise a échoué dans presque toutes ses missions, et souvent de façon spectaculaire ». L’agence du département de la Défense qui fournissait à une époque 70% des revenus annuels de l’entreprise finit par la dénoncer comme une imposture discréditant la recherche comportementale. Simulmatics fait faillite en 1970.

Une époque obsédée par les données

Mais son échec n’est pas important, assure Lepore, car les ambitions de Simulmatics sont aujourd’hui devenues réalité. Et Mnookin la rejoint sur ce point. Aujourd’hui, écrit Lepore, l’humanité se trouve « dans une machine qui applique la science de la guerre psychologique à la vie quotidienne, une machine qui manipule l’opinion, exploite l’attention, traite l’information comme une marchandise, divise les électeurs, brise les communautés, aliène les individus et ébranle la démocratie. »

À lire aussi dans Books : Les habits neufs du marketing politique, novembre/décembre 2017.

LE LIVRE
LE LIVRE

If Then. How the Simulmatics Corporation Invented the Future de Jill Lepore, Liveright, 2020

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