Jumelles grammaticales

Son expertise de la grammaire était si appréciée qu’elle permit à l’esclave Lutatius Daphnides d’être affranchi, raconte Suétone dans les Vies des douze Césars. « Simple anecdote historique, Daphnidès a récemment été dépoussiéré, ou tout du moins son nom a été réutilisé, dans un délicieux nouveau roman, The Grammarians de Cathleen Schine », note la journaliste Susan Dominus dans The New York Times. Ses héroïnes, les jumelles Daphne et Laurel partagent un amour incommensurable pour le langage.

Le langage des jumeaux

Enfants, elles développent leur propre idiome, mais surtout jouent littéralement avec les mots. Leur père, un comptable philosophe qui déteste les chiffres, les encourage en leur offrant un dictionnaire. Leur mère, intimidée, les installe devant la télévision, car « quel sorte d’enfant devient ami avec un dictionnaire ? ».

Schine imagine les histoires que les jumelles se racontent sur les mots et « même des mots que les personnages ne remarquent pas semblent s’animer sur la page », souligne Dominus louant « l’autorisation » que se donne l’auteur « de se délecter du langage lui-même ».

Opposition grammaticale

À l’âge adulte, la passion des jumelles pour les mots les conduit à prendre des chemins différents jusqu’à la brouille. Daphne, devenue correctrice, acquiert une certaine célébrité grâce à ses publications sur le bon usage de la langue. Laurel, se lance dans la poésie. « Leur rupture, officiellement née de leurs positions opposées sur la grammaire et ses usages, définies par les linguistes comme prescriptivisme contre descriptivisme, touche en fait au façonnage par chacune de sa propre identité », souligne la critique Heller McAlpin sur le site de la radio publique américaine NPR.

Ces jumelles représentent « un raffinement supplémentaire dans l’intérêt que porte Schine aux dynamiques familiales, et spécialement aux relations entre sœurs », assure le romancier Alan Hollighurst dans The New York Review of Books. Il n’hésite pas à comparer le travail de l’écrivaine américaine, dont c’est là le onzième roman, à celui de Jane Austen.

À lire aussi dans Books : Et la parole fut, mars-avril 2017.

LE LIVRE
LE LIVRE

The Grammarians de Cathleen Schine, Sarah Crichton Books, 2019

SUR LE MÊME THÈME

Lu d'ailleurs De l’avantage d’être un État fantôme
Médiocres milléniaux
Espionne et mère de famille  

Dans le magazine
BOOKS n°123

DOSSIER

Faut-il restituer l'art africain ?

Chemin de traverse

13 faits & idées à glaner dans ce numéro

Edito

Une idée iconoclaste

par Olivier Postel-Vinay

Bestsellers

L’homme qui faisait chanter les cellules

par Ekaterina Dvinina

Voir le sommaire