À contre-courant
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La femme nazie était l’égale de l’homme


Le IIIe Reich glorifiait la mère allemande. La femme était d’abord, dans l’idéologie nazie, une génitrice, gardienne du foyer. Si bien qu’à la fin de la guerre est apparu le mythe de l’Allemande martyre innocente d’un régime phallocrate. Pendant le conflit, pourtant, un certain nombre d’entre elles ont été activement impliquées dans la Shoah, comme le montre la stupéfiante enquête de l’historienne américaine Wendy Lower, Les Furies d’Hitler. Dont nous vous proposons cet extrait, sur le cas terrifiant de Johanna Altvater. Soyez avertis qu’il relate des actes particulièrement barbares.

« Quoique l’ordre ne fût évidemment pas délivré directement à « Fraulein Hanna », alias Johanna Altvater, celle-ci décida de faire sa part du travail. Elle accompagnait souvent son chef [elle était secrétaire] lors de ses visites de routine au ghetto de Volodymyr-Volynski [à la frontière de l’Ukraine et de la Pologne]. On la voyait alors attacher leurs chevaux à la porte d’entrée. Le 16 septembre 1942, après y avoir pénétré, elle s’approcha de deux enfants juifs, l’un de six ans et l’autre tout petit, qui vivaient près du mur d’enceinte. Elle leur fit signe, leur laissant entendre qu’elle allait leur offrir quelque chose. Le plus petit s’avança vers elle. Elle prit l’enfant dans ses bras et le serra si fort contre elle qu’il se mit à crier en gigotant. Elle le saisit par les jambes, puis, alors qu’il était ainsi suspendu à l’envers, elle commença à lui cogner la tête contre le mur d’enceinte, comme quand on veut battre la poussière d’un tapis. Après quoi, elle jeta le corps sans vie de l’enfant aux pieds de son père. Plus tard, celui-ci déclara : « Un tel sadisme de la part d’une femme que je n’avais jamais vue, je ne l’oublierai jamais. » Il n’y avait pas d’autre responsable allemand présent, se souviendra-t-il encore. Ce fut de sa propre initiative que Altvater tua cet enfant.

Au moment de la liquidation du ghetto, le commandant allemand du camp de prisonniers de guerre qui se trouvait à proximité vit Fraulein Hanna, vêtue de son pantalon d’équitation, aiguillonner des hommes, des femmes et des enfants juifs pour les faire monter dans un camion. Elle circulait dans le ghetto en faisant claquer sa cravache, s’efforçant de mettre de l’ordre dans le chaos comme « un gardien de troupeau », ainsi que le dira le même témoin allemand. Altvater pénétra un jour dans le bâtiment qui servait d’hôpital de fortune. Elle déboula dans le service pédiatrique et passa devant chaque lit en examinant les enfants. Puis elle s’arrêta, jeta son dévolu sur l’un d’entre eux, le conduisit jusqu’à la fenêtre et le précipita sur la chaussée. Puis elle mena les plus âgés jusqu’au balcon de la salle – qui se trouvait au troisième étage – et les poussa par-dessus la balustrade. Tous les enfants ne furent pas tués par la chute, mais ceux qui survécurent étaient sérieusement blessés. Altvater n’était pas seule ce jour-là dans l’infirmerie : un de ses amis était présent, un officier de la gendarmerie du nom de Keller. Celui-ci avait assez d’autorité pour ordonner à l’infirmier juif Michal Geist de descendre pour vérifier que les enfants qui gisaient au sol immobiles étaient bien morts.

Ceux qui étaient blessés et les autres enfants de l’infirmerie furent mis dans un camion. Leur travail presque achevé, Alvater et Keller quittèrent les lieux, probablement pour rejoindre les fosses communes à la périphérie de la ville.

La spécialité d’Altvater — ou, comme le dira un survivant, « son effroyable habitude » — était de tuer des enfants. Un observateur remarqua qu’elle attirait souvent des enfants avec des sucreries. Quand ils venaient à elle et ouvraient la bouche, elle leur tirait dedans avec le petit pistolet en argent qu’elle portait au côté. Certains suggéraient qu’Altvater et Westerheide [le commissaire du district] étaient amants, mais la plupart se moquaient d’elle en disant qu’elle était la virago de son chef (Mannweib). Elle ne s’entendait pas bien avec les autres femmes en poste dans la ville et quand elle voulait fréquenter du monde, elle se rendait au foyer des soldats. Quant aux autres femmes, elles « ne l’estimaient guère, parce qu’elle était toujours en train de parader dans son uniforme brun du parti nazi et se comportait comme une vraie garçonne ». Elle était très corpulente et portait les cheveux coupés très court comme un homme. Survivants juifs et témoins allemands se souviendront plus tard de ses traits masculins, qu’ils mettaient en relation avec son comportement agressif. Dans ces descriptions de la violence nazie, Johanna Altvater est présentée d’une façon ambiguë, et à vrai dire repoussante, comme une virago. Son apparence physique était un moyen d’expliquer ses actes effroyables. »

LE LIVRE
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Les furies d’Hitler de Wendy Lower, Tallandier, 2014

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