La fin des espions ?

Juin 1944. Les Allemands ont un super-espion en Angleterre. « Garbo » leur fournit l’information la plus précieuse qui soit : le vrai débarquement allié aura lieu dans le Pas-de-Calais et non en Normandie. De son vrai nom Juan Pujol, Garbo est sous le contrôle du Secret Intelligence Service britannique (1). L’année précédente, en usant d’un stratagème sophistiqué – un faux noyé en Espagne muni d’une mallette pleine de documents –, les Britanniques étaient parvenus à faire croire aux Allemands que le débarquement allié en Méditerranée aurait lieu en Grèce et non en Sicile. Parmi les grands succès de l’espionnage, on peut encore citer le cas de Leopold Trepper, le communiste juif dont le réseau, l’Orchestre rouge, permit à Staline d’anticiper l’attaque allemande, ou celui d’Eli Cohen, l’Israélien qui parvint à devenir le conseiller du ministre syrien de la Défense et facilita l’écrasante victoire de son pays dans la guerre des Six-Jours. À l’inverse, un livre récent sur la CIA présente la fameuse agence, numéro un de l’espionnage mondial, comme une spécialiste de l’échec, parfois ridicule. Son action en Irak est un cas d’école : après avoir contribué à mettre en selle le futur tyran Saddam Hussein en 1963, elle n’a pas vu venir l’invasion du Koweït en 1990, puis a nourri le mythe de la possession par Saddam d’armes de destruction massive, principal argument de la désastreuse invasion américaine de l’Irak en 2003. À son siège de Langley, la CIA a son mur des martyrs. Il y est inscrit : « Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. » Cet hymne à une naïveté très américaine prend d’étranges résonances à l’ère d’Internet et de la cybersurveillance. Les espions d’hier cèdent la place aux programmes informatiques et aux drones. Comme naguère le cheval, l’espion est remplacé par la machine. Dommage pour la littérature.

Notes

1. Christian Destremau, Opération Garbo. Le dernier secret du jour J (Perrin, 2004).

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