À contre-courant
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La prostituée, héroïne littéraire


Après deux ans de débat, l’Assemblée a voté, ce mercredi, l’instauration de sanctions pour les acheteurs de services sexuels. Cette même loi reconnaît la prostituée comme une victime. Pas la littérature, où elle est tour à tour muse, femme de pouvoir, vile pécheresse et arriviste, selon Sergio Fanjul qui l’expliquait dans Books en juin 2012. « La plupart du temps, loin du regard critique de la société, les écrivains ont normalisé, voire sublimé, la prostitution », écrit-il. Prenez le roman gothique anglais, ajoute le professeur de littérature Javier Aparicio : « Ces gourgandines y étaient présentées comme maîtresses de leur destin et de leur corps. On les voyait en femmes libérées, à l’instar de la Clarisse Harlowe de Samuel Richardson ». Même chose dans les années 1930, avec La Belle Romaine d’Alberto Moravia, ou Les Belles endormies de Yasunari Kawabataba.

Il faut dire que la profession fournit tous les ingrédients d’une bonne intrigue, comme le rappelait Flaubert dans une lettre à son amante Louise Colet en 1853 : « Il se trouve, en cette idée de la prostitution, un point d’intersection si complexe, luxure, amertume, néant des rapports humains, frénésie du muscle et sonnement d’or, qu’en y regardant au fond le vertige vient, et on apprend là tant de choses ! » Celles qu’on a appelé « les grandes horizontales » vivent ainsi leur heure de gloire littéraire pendant la période romantique.

Toute la littérature n’a cependant pas diffusé cette vision passablement idéalisée de la prostitution. Le roman réaliste du XIXe siècle l’associe au contraire au monde de la marginalité. La fille légère « était, comme le montre la Nana de Zola, un produit de la corruption de la société », précise Aparicio. La littérature médiévale en avait elle aussi fait un personnage mal intentionné. Les Contes de Canterbury de Chaucer comme le Décaméron de Boccace mettent ainsi en scène des marchandes d’amour qui subjuguent leurs proies pour s’emparer de leur fortune. L’Eglise est passée par-là, qui a mis fin aux nuances introduites par la littérature gréco-latine, où les filles légères pouvaient aussi bien être des esclaves que de puissantes hétaïres, à l’instar d’Aspasie, « qui eut une influence décisive sur Périclès et à qui Plutarque imputa même la guerre du Péloponnèse ».

 

LE LIVRE
LE LIVRE

Nana de Émile Zola, Folio, 2002

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