L’album de la mort

Des années 1960 au début des années 1990, les forces de sécurité sud-africaines ont édité un album rassemblant les photos d’identité des opposants au régime. Plus de 7 000 portraits ont figuré dans ce qu’elles appelaient « l’album terroriste ». « Officiellement, la police utilisait ce document uniquement pour surveiller les personnes qui quittaient le pays sans autorisation. Mais si votre photo était dans l’album, vous étiez considéré comme un terroriste », note l’historien sud-africain Jacob Dlamini dans The Terrorist Album. Cette étude « convaincante retrace les histoires politico-policières dans lesquelles l’album a servi le régime », précise Bongani Kona dans le magazine américain The Baffler.

Dlamini a pu consulter un des trois exemplaires qui ont échappé à la destruction. En 1993, quand il a senti sa fin proche, le régime a brûlé 44 tonnes de documents pour « couvrir ses traces » et « effacer toute mention de son système raciste brutal », rappelle Stephen Williams dans African Business. Certains officiers que l’historien a rencontrés clament encore que ce livret mis à jour tous les six mois n’était qu’un aide-mémoire pour traquer les fugitifs. Mais il « faisait partie de l’offensive du régime contre ses opposants, note Kona. Être considéré comme un terroriste par les forces de sécurité, c’était vivre dans l’ombre de la mort. Cela signifiait que vous pouviez mourir dans une explosion, un mardi après-midi, vos chaussures italiennes préférées aux pieds ». C’est ce qui est arrivé en 1982 à Ruth First. L'universitaire exilée au Mozambique a reçu un colis piégé à son bureau. Sa photo était dans l’album.

Les portraits, accompagnés de notices biographiques pas toujours exactes, étaient indexés selon des critères raciaux, rassemblant des personnes de toutes les couleurs de peau du blanc au noir. Mais « dans le monde des forces de sécurité de l’apartheid », pointe Jason Burke dans The Guardian, « les préjugés racistes étaient si enracinés qu’il était inconcevable qu’un activiste non-blanc soit le commandant en second de l’unité des opérations spéciales de l’ANC. »

À lire aussi dans Books :Les indignées de l’apartheid, janvier 2016.

LE LIVRE
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The Terrorist Album: Apartheid’s Insurgents, Collaborators, and the Security Police de Jacob Dlamini, Harvard University Press, 2020

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