Publié dans le magazine Books n° 38, décembre 2012. Par David Rieff.
La personnalité déplaisante du cinéaste, son égotisme ridicule, son manichéisme absurde, sa dévotion aveugle envers Israël, qui a financé ses films, et son idolâtrie de la force discréditent son œuvre aux yeux de certains. À tort. Les petitesses de l’homme n’entament pas la grandeur de l’artiste qui a su, avec ce chef-d’œuvre absolu qu’est Shoah, exprimer comme nul autre l’inexprimable.
Selon le bon mot d’Oscar Wilde (qui s’y connaissait mieux que la plupart d’entre nous sur ce sujet), « s’aimer soi-même, c’est l’assurance d’une longue histoire d’amour ».
Quiconque en douterait pourra constater que l’écrivain était plutôt en deçà de la vérité en se plongeant dans les Mémoires à la fois fascinants et rebutants de Claude Lanzmann,
Le Lièvre de Patagonie. Même les histoires d’amour les plus enflammées ont tendance à tiédir avec le temps. Pourtant, à 86 ans, Lanzmann est toujours épris de Claude Lanzmann, et l’ardeur de sa passion semble n’avoir fait qu’augmenter avec les décennies (1). Jusque dans le titre du livre – référence à une espèce de lièvre, dont il a vu bondir des dizaines de spécimens devant ses phares alors qu’il traversait une sombre forêt du nord de la Yougoslavie durant un voyage dans la région au début des années 1950 – il se livre à un acte d’appropriation primitive (2). Pour Lanzmann, le lièvre est la pure expression, sous forme animale, de la force de vie, du désir de liberté. ...