Le géant oublié de la poésie espagnole
Publié dans le magazine Books n° 22, mai 2011.
La poésie ibérique ne se limite pas à Federico García Lorca ! L’Espagne redécouvre en ce moment Juan Ramón Jiménez, qui a inspiré une génération entière d’écrivains.
Luna sonámbula, princesa de pena casi sin luz, casi deshecha ; Oh, vida mía ! ciega azucena, Luna sin luz, ninfa viajera
(« Lune somnambule princesse de peine Presque sans lumière Presque déshéritée ; Ô, ma vie ! lys aveugle, Lune sans lumière nymphe voyageuse »)
Pour le poète José Manuel Caballero Bonald, qui commente l’ouvrage dans El Pais, on entend aussi dans Arte menor « un lyrisme d’origine populaire, comme sorti d’un recueil anonyme de chansons andalouses et, à ses meilleurs moments, précurseur du modernisme, bien qu’encore contaminé par les sortilèges romantiques ». Le recueil oscille entre ode à la vie et présence obsédante de la mort :El silencio : todo El silencio nada Vida de la muerte Muerte de la vida Alma sin su cuerpo cuerpo sin su alma
(« Le silence : tout Le silence rien Vie de la mort Mort de la vie Âme sans son corps Corps sans son âme »)
La période dite « néopopulaire » de Jiménez touche à sa fin lorsque celui-ci rentre à Madrid, en 1913. Il y rencontre Zenobia Camprubi Aymar, traductrice en castillan de Rabindranath Tagore. Il tombe fou amoureux et l’épouse à New York. Il découvre la poésie américaine et s’oriente vers une lyrique plus sobre, plus intellectuelle. Moins centrée sur l’exploration du moi, son écriture tend maintenant vers la « poésie nue ». En 1936, Jiménez, qui est du côté des républicains, s’exile à Porto Rico. Celui qui déclara : « Écrire n’est qu’une préparation pour ne plus écrire, pour l’état de grâce poétique, intellectuel ou sensitif. Devenir soi-même poésie, non plus poète », meurt à San Juan en 1958.