Les auteurs, leurs droits et « Creative Commons »
Publié en janvier 2009. Par Jean-Claude Guédon.
L'histoire du droit des auteurs ou du « copyright » offre bien des spectacles réjouissants pour tout individu doué d'humour. Essayez, par exemple, de réconcilier le droit d'auteur qui ne protège que l'expression des idées, et non les idées elles-mêmes, avec les droits dérivés. Et ne vous inquiétez pas outre mesure de l'incohérence possible. Le droit et les mathématiques maintiennent quand même quelques différences visant à assurer le bonheur des avocats.
Les juristes portent sur l'auteur un regard passablement réducteur. Les tenants anglophones du « copyright » ne font guère mieux. D'une tradition légale à l'autre, un auteur, c'est ... un auteur. On a besoin de lui certes. Par exemple pour créer des textes. Mais on a surtout besoin d'un propriétaire premier. Pourquoi ? Parce que c'est le seul moyen connu pour déposséder légalement un individu.
La question de l'auteur et de ses droits trouve en effet son antichambre dans les anxiétés des imprimeurs, surtout à partir du XVIe siècle. Mark Rose l'a bien montré dans un livre hélas peu connu en France, Authors and Owners (Harvard university Press, 1995). Pour prétendre à la possession d'un texte, un imprimeur se devait de transiger avec un premier propriétaire. L'écrivain, grâce à son front, peut jouer ce rôle. Ce n'est pas la puissance de celui-ci qui compte en l'occurrence, mais plutôt cette sueur sacrée perlant à sa surface. Le travail fait le propriétaire. Et la propriété, c'est 90% du droit. Ainsi les imprimeurs pouvaient s'appuyer sur la police, royale ou républicaine, pour réprimer les pirates.
Plus tard, particulièrement dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, certains écrivains ont commencé à comprendre l'avantage d'être des propriétaires : au lieu de rechercher la protection d'un mécène, on pouvait tenter sa chance dans un marché. Avec bien des effets sur la liberté de parole. Mais ceci est une autre histoire.
Cela dit, tous les écrivains ont-ils besoin d'être auteur ? À l'évidence non. Ou du moins ils n'ont pas forcément besoin de tous les droits traditionnellement associés à la notion d'auteur. Pour certains, la visibilité et l'accessibilité de leurs écrits sont bien plus importantes qu'une rémunération. Ainsi, un chercheur souhaite être lu par le plus grand nombre de spécialistes parce qu'il transige au moyen d'une monnaie symbolique plutôt que trébuchante. Prestige, autorité et visibilité lui importent bien plus que de minuscules « royalties ». De fait, les scientifiques, lorsqu'ils publient les résultats de leurs savants travaux sous forme d'articles, ne sont pratiquement jamais payés. Pour ces gens, le droit d'auteur se compare aisément à une grossière massue : celle-ci peut avoir ses usages sur le crâne de mes vilains ennemis, mais pas sur mon œuf, même dur... Sans égards pour les nuances et les besoins divers des auteurs, le droit d'auteur impose ses conditions. Même aux auteurs.
Comment régler cette question ? La solution élégante s'appelle « Creative Commons ». Elle repose sur une simple constatation : si je suis propriétaire d'un terrain, je ne suis pas obligé d'empêcher les voisins de passer. Je peux même leur donner formellement mon accord pour qu'ils passent, mais en assortissant ma souplesse de certaines contraintes : interdiction de siffler, de jeter des papiers, de se présenter sans cravate, que sais-je encore ? De la même manière, je peux vous donner l'accès à mon texte, mais à condition que vous ne le changiez pas, ou encore que, si vous le changez, vous devez partager le résultat avec tout le monde. Au lieu du sempiternel « tous droits réservés », on débouche sur « quelques droits réservés ». Ne trouve-t-on pas là les germes d'une certaine flexibilité, d'une nouvelle sagesse ?
Vous voulez en savoir plus ? Visitez le site Creative Commons et s'il vous reste des questions, le CERSA, groupe de recherche du CNRS, vous renseignera. Inutile de se crisper sur les droits d'auteur !
Les juristes portent sur l'auteur un regard passablement réducteur. Les tenants anglophones du « copyright » ne font guère mieux. D'une tradition légale à l'autre, un auteur, c'est ... un auteur. On a besoin de lui certes. Par exemple pour créer des textes. Mais on a surtout besoin d'un propriétaire premier. Pourquoi ? Parce que c'est le seul moyen connu pour déposséder légalement un individu.
La question de l'auteur et de ses droits trouve en effet son antichambre dans les anxiétés des imprimeurs, surtout à partir du XVIe siècle. Mark Rose l'a bien montré dans un livre hélas peu connu en France, Authors and Owners (Harvard university Press, 1995). Pour prétendre à la possession d'un texte, un imprimeur se devait de transiger avec un premier propriétaire. L'écrivain, grâce à son front, peut jouer ce rôle. Ce n'est pas la puissance de celui-ci qui compte en l'occurrence, mais plutôt cette sueur sacrée perlant à sa surface. Le travail fait le propriétaire. Et la propriété, c'est 90% du droit. Ainsi les imprimeurs pouvaient s'appuyer sur la police, royale ou républicaine, pour réprimer les pirates.
Plus tard, particulièrement dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, certains écrivains ont commencé à comprendre l'avantage d'être des propriétaires : au lieu de rechercher la protection d'un mécène, on pouvait tenter sa chance dans un marché. Avec bien des effets sur la liberté de parole. Mais ceci est une autre histoire.
Cela dit, tous les écrivains ont-ils besoin d'être auteur ? À l'évidence non. Ou du moins ils n'ont pas forcément besoin de tous les droits traditionnellement associés à la notion d'auteur. Pour certains, la visibilité et l'accessibilité de leurs écrits sont bien plus importantes qu'une rémunération. Ainsi, un chercheur souhaite être lu par le plus grand nombre de spécialistes parce qu'il transige au moyen d'une monnaie symbolique plutôt que trébuchante. Prestige, autorité et visibilité lui importent bien plus que de minuscules « royalties ». De fait, les scientifiques, lorsqu'ils publient les résultats de leurs savants travaux sous forme d'articles, ne sont pratiquement jamais payés. Pour ces gens, le droit d'auteur se compare aisément à une grossière massue : celle-ci peut avoir ses usages sur le crâne de mes vilains ennemis, mais pas sur mon œuf, même dur... Sans égards pour les nuances et les besoins divers des auteurs, le droit d'auteur impose ses conditions. Même aux auteurs.
Comment régler cette question ? La solution élégante s'appelle « Creative Commons ». Elle repose sur une simple constatation : si je suis propriétaire d'un terrain, je ne suis pas obligé d'empêcher les voisins de passer. Je peux même leur donner formellement mon accord pour qu'ils passent, mais en assortissant ma souplesse de certaines contraintes : interdiction de siffler, de jeter des papiers, de se présenter sans cravate, que sais-je encore ? De la même manière, je peux vous donner l'accès à mon texte, mais à condition que vous ne le changiez pas, ou encore que, si vous le changez, vous devez partager le résultat avec tout le monde. Au lieu du sempiternel « tous droits réservés », on débouche sur « quelques droits réservés ». Ne trouve-t-on pas là les germes d'une certaine flexibilité, d'une nouvelle sagesse ?
Vous voulez en savoir plus ? Visitez le site Creative Commons et s'il vous reste des questions, le CERSA, groupe de recherche du CNRS, vous renseignera. Inutile de se crisper sur les droits d'auteur !