Les parasites du génie

Pendant plus de trente ans, Cyril Connolly fit la pluie et le beau temps sur la littérature anglaise. Écrivain raté, l’implacable critique sut décrire avec verve ces futilités qui l’ont empêché de devenir un grand auteur.

«Plein de promesses » : c’est ainsi que se percevait Cyril Connolly, futur grand prêtre de la critique anglaise, quand il débarqua sur la scène littéraire londonienne peu avant la Seconde Guerre mondiale. Ce sentiment semblait fondé. Une intelligence brillante, des études très patriciennes à Eton et Oxford, un brin d’excentricité anglo-irlandaise et, surtout, l’amour exclusif et intransigeant de la « vraie littérature » : Connolly avait tout pour devenir un grand écrivain. Pourtant, de son propre aveu, les promesses ne furent pas tenues : tout juste un roman licencieux, inégalement apprécié, plus quelques ouvrages, mais de chef-d’œuvre, point.

En revanche, en tant que critique littéraire, les centaines d’articles qu’il publia régentèrent la vie culturelle britannique pendant des décennies. Connolly était l’ami – et l’ennemi – de toute la gent littéraire, qu’il étrillait chaque semaine dans le Sunday Times. La première partie de son œuvre la plus connue, Ce qu’il faut faire pour ne plus être écrivain, expose ses théories sur l’écriture, fondées notamment sur la distinction entre style littéraire (« le mandarin », comme il l’appelle) et style « vernaculaire » – Connolly rejetant l’un comme l’autre.

« Il tenait pour un crime de ne pas être un Baudelaire, un Flaubert, un Rochester, un Alexander Pope ou un poète élégiaque romain », commente l’écrivain anglais Victor Sawdon Pritchett dans la New York Review of Books. Quant à savoir ce qui l’a empêché de produire le chef-d’œuvre que tous attendaient de lui, le critique cinglant en fait l'inventaire, avec ce pragmatisme tout anglo-saxon, dans la seconde partie du livre. C’est un curieux mélange de paresse et de frivolité, qu’il nomme « futilitarisme », « la quête du plaisir, les dîners en ville, la passion des femmes, l’amour de la conversation, et puis vivre au-dessus de ses moyens », résume Pritchett. Car « les écrivains sans fortune personnelle ni mécène sont obligés de commenter les ouvrages des autres dans les journaux, ce qui les abrutit et mine leur talent ».

En réalité, Cyril Connolly a bel et bien produit un chef-d’œuvre : lui-même, ou plutôt son personnage. « On ne peut pas le lire sans avoir immédiatement envie de le connaître et de devenir son ami », déclare l’écrivain William Boyd dans les colonnes du Guardian. « Connolly est fondamentalement honnête. Cette honnêteté transpire dans tous ses textes, quand bien même il tente de la masquer. C’est ce qui le rend éternellement moderne, poursuit Boyd. Il parle sans cesse de ses propres défaillances et échecs, et ce genre de confessions procure toujours au lecteur le plus vif plaisir littéraire. »

LE LIVRE
LE LIVRE

Ce qu’il faut faire pour ne plus être écrivain de Les parasites du génie, Les Belles Lettres

ARTICLE ISSU DU N°23

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