L’islam n’est pas (seulement) une religion
Publié le 8 septembre 2016. Par La rédaction de Books.
Allégorie de l'ivresse de ce monde et de l'autre monde, folio du Divan de Hafez.
L’islam n’est pas une religion au sens occidental du terme, ni un système d’obligations religieuses littérales, comme l’entendent de nombreux musulmans (ou islamophobes) aujourd’hui, assure l’universitaire Shahab Ahmed. Dans What is Islam?, cet enseignant de Harvard – décédé peu avant la sortie de son livre – définit l’islam comme une culture, une civilisation, une manière d’être et même, plus fondamentalement, un acte d’interprétation. L’islam est d’abord une forme de production de sens. Or le Coran et les Hadiths (les paroles de Mahomet) n’en sont pas les seuls dépositaires. L’islam tel que le conçoit Shahab Ahmed est aussi l’expression de la vérité contenue dans la réalité qui préexistait à la Révélation, et dans les significations qui ont été données au corpus après elle. Une œuvre comme le Divan de Hafez, poète persan du XIVe siècle, fait donc à ses yeux partie intégrante de l’islam. Et cela même s’il chante les plaisirs du vin, de l’amour érotique et dénonce l’hypocrisie des moralistes. « Le livre de poésie le plus copié, le plus distribué, le plus lu, le plus appris, le plus récité, le plus invoqué et le plus proverbialisé de l’histoire islamique » n’est pas seulement une œuvre littéraire : il témoigne des idéaux entretenus dans une grande partie du monde islamique pendant un demi millénaire. Pour Ahmed, l’islam tel qu’il a été pratiqué au fil des siècles a toujours embrassé les contradictions.
S’appuyant sur des sources juridiques, théologiques, littéraires venant de manuscrits du monde entier et rédigés dans plus d’une douzaine de langues, Ahmed étudie les incohérences entre le texte sacré et les pratiques ou réflexions des musulmans de toutes les époques. Loin de voir dans ces contradictions l’effet de déviances ou du hiatus entre religion et culture islamiques, l’auteur les juge constitutives de l’islam même. Et se désole que les musulmans d’aujourd’hui n’adhèrent plus à la conception de leur culture comme négociation permanente entre les vérités héritées de l’avant, du pendant et de l’après de la Révélation. S’en tenant au seul texte, ils perdent le lien avec des pans entiers de leur civilisation.