Mise au pilori : de la place du village à Internet
La honte et l’humiliation pourraient-elles avoir une vertu sociale ? Dans un ouvrage qui vient de paraître outre-Rhin, l’historienne Ute Frevert retrace leur rôle en Europe depuis le XVIIIe siècle. « Un constat : aujourd’hui, ce n’est plus l’Etat qui fait honte et humilie », note Tobias Becker dans Der Spiegel. La société civile et notamment les réseaux sociaux ont pris le relai. Mais est-ce exactement la même chose que le pilori ?
Celui-ci fait son apparition vers 1200. Les criminels y étaient attachés sur les places publiques et livrés aux insultes, aux crachats, à toutes sortes de projectiles (dont des excréments). Mais contrairement à ce qu’on imagine souvent, ce n’était pas une punition très répandue : « Les tribunaux des siècles passés y recouraient avec retenue, rapporte Becker. Au XVIe siècle, à Cologne, par exemple, on n’a dressé le pilori en moyenne qu’une fois tous les cinq ans et dans le Londres du XVIIIe siècle, dix personnes au maximum par an étaient concernées. »
Frevert distingue la honte qu’on inflige à quelqu’un (Beschämung) de l’humiliation (Demütigung) : la première a pour but de réintégrer l’individu dans la société. Et le pilori, aussi terrible qu’il nous semble aujourd’hui, avait bien cette fonction. L’humiliation, elle, permet surtout à celui qui humilie de faire la démonstration de son pouvoir et il n’est pas sûr que cela aide à resocialiser celui qui en victime, au contraire. Or, c’est précisément ce qui domine aujourd’hui sur les réseaux sociaux.
A lire dans Books: « On lynche bien sur Internet », septembre 2015.