Monopole Valley

« Don’t Be Evil » (« Ne faites rien de mal ») : telle était la devise de Sergey Brin et Larry Page lorsqu’ils fondèrent Google à la fin des années 1990. Si tant est qu’ils y aient un jour cru, le fait est qu’aujourd’hui, leur créature, de même que Facebook, Amazon, Apple, Microsoft, Uber et les autres « ne sont rien d’autre que de très grandes entreprises qui font ce que les très entreprises font depuis la nuit des temps immémoriaux : exploiter des ressources pour dégager des bénéfices », note l’universitaire John Naughton dans The Observer.

Dans Don’t be Evil, la journaliste du Financial Times Rana Foroohar décrit comment ces entreprises créées pour la plupart par des jeunes gens naïfs et/ou libertariens sont devenues des monopoles sans foi ni loi. Les géants du Net ne se contentent pas de grossir en se diversifiant (voiture autonome et l’ordinateur quantique pour Google) ou en rachetant tous leurs concurrents potentiels (120 acquisitions en une décennie rien que pour Google), ils ont amadoué les instances censées les réguler.

Le lobby de la Silicon Valley

À Washington, les grandes entreprises technologiques constituent le lobby le plus puissant après l’industrie pharmaceutique. Elles s’assurent de bénéficier d’aides publiques, de dispositions fiscales favorables et d’assouplissements de la réglementation sur les brevets, ce qui, selon les spécialistes cités par Foroohar, est un frein à l’innovation.

Les géants du Net ont aussi infléchi le débat public à leur avantage en préemptant les compétences des universitaires. « Les données sont l'élément vital de la Silicon Valley, mais il n'existe pas d'estimations fiables de leur valeur, car Google emploie la plupart des meilleurs spécialistes du monde en la matière. En enfermant tant de chercheurs dans des cages dorées, Google a rendu difficile la contestation de son modèle économique », observe le critique James Marriott dans The Times.

Crise financière en vue

« L’idée la plus étonnante de Don’t be Evil est cependant que les géants du Net seraient devenus “trop gros pour faire faillite” », souligne Naughton. Et selon Foroohar, c’est probablement de la Silicon Valley que viendra la prochaine crise financière. Ces entreprises sont assises sur un impressionnant matelas de trésorerie (plus de 200 milliards de dollars rien que pour Apple) qu’elles ont en grande partie placée dans des obligations d’entreprises, ce qui leur donne une influence déterminante sur les marchés.

 

Pour rogner leur pouvoir, Foroohar avance l’idée d’instaurer une taxe mondiale sur le numérique. Mais selon elle, le seul rempart dressé aujourd’hui face à ces géants du Net est l’Union européenne, qui grâce à sa législation protectrice attire de plus en plus de start-up innovantes.

À lire aussi dans Books : Le Big Data au centre du débat, novembre-décembre 2017.

LE LIVRE
LE LIVRE

Don’t Be Evil de Rana Foroohar, Currency, 2019

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