L’Italie sur le divan

La critique transalpine se passionne pour les thèses d’un psychanalyste renvoyant dos à dos Beppe Grillo et Silvio Berlusconi.

 

Peut-on comprendre la crise de la démocratie italienne avec les outils de la psychanalyse ? La question taraude depuis quelques mois la presse italienne, qui s’alarme de l’absence de figures paternelles crédibles dans le paysage politique de la Péninsule. Car les journaux ont été séduits par le propos de l’un des psychanalystes les plus respectés du pays : Massimo Recalcati. Dans un livre d’entretiens paru l’été dernier, celui-ci présente Sivlio Berlusconi et Beppe Grillo (le leader du Mouvement 5 étoiles, la troisième force politique du pays depuis les législatives de février 2013) comme deux symptômes d’un même mal – deux « variantes socialement perverses » de ce que le psychanalyste qualifie de « néototalitarisme hyperhédoniste ».

Les Italiens en manque de repères, explique-t-il, ont élu ces dernières années non pas des figures d’autorité, mais des papas complaisants, désireux de ressembler à leurs enfants ; des « pères populistes », incapables d’assurer la transmission des valeurs et de canaliser les désirs de la population. D’un côté, Berlusconi incarne une pulsion de transgression et d’accumulation irrépressible des biens et des corps. De l’autre, Beppe Grillo, avec sa volonté affichée de « renvoyer à la maison la vieille classe politique », serait mû par un fantasme de pureté caractéristique de l’âge adolescent. L’une et l’autre figures produisent le même effet sur la vie politique : la négation de l’Autre – entendez l’adversaire – perçu, dans la logique de Berlusconi, comme un frein à son propre plaisir, et, dans celle de Grillo, comme un obstacle à balayer pour que naisse une « vraie » démocratie.

La critique italienne apprécie cette analyse qui renvoie dos à dos les populismes et, surtout, évite le piège consistant à faire de Berlusconi une anomalie surgie ex nihilo dans le paysage politique. La notion de père défaillant décrit parfaitement « l’absence de figures de référence dans la sphère publique italienne » et les dérives narcissiques qui ont marqué la vie politique locale ces dernières années, selon Luciana Sica qui rend compte du livre dans La Repubblica.

Plus sceptique, l’historien Paolo Acanfora émet des réserves sur le principe même d’une approche psychanalytique en la matière. Les théories de Freud et de Lacan sont-elles les mieux à même d’éclairer des phénomènes aussi complexes que le berlusconisme ou le grillisme ?, demande-t-il en substance dans le quotidien Conquiste del Lavoro, tant il lui semble réducteur d’extrapoler à un pays tout entier des cadres d’interprétation conçus pour les individus. Il n’en juge pas moins passionnant le livre de Recalcati, et partage son constat d’une faillite globale des institutions politiques italiennes, manifestement inaptes à incarner cette forme d’autorité morale que d’aucuns disent paternelle. 

LE LIVRE
LE LIVRE

Patrie sans père : psychopathologie de la politique italienne de L’Italie sur le divan, Minimum Fax

SUR LE MÊME THÈME

Périscopes Donner corps à la faim
Périscopes Les esclaves oubliés d’Indonésie
Périscopes Tout le savoir de la forêt

Aussi dans
ce numéro de Books