Pourquoi Hessel ?
Publié dans le magazine Books n° 23, juin 2011.
Dans l’introduction de la version anglaise du bestseller de Stéphane Hessel, l’Américain Charles Glass, spécialiste du Proche-Orient, observe que cet appel à s’indigner est venu comme annoncer les révolutions de Tunisie et d’Égypte. Dans le Times Literary Supplement, Sudhir Hazareesingh, bon connaisseur de la France, propose une grille de lecture pour expliquer le succès du livre.
Dans l’introduction de la version anglaise du bestseller de Stéphane Hessel, l’Américain Charles Glass, spécialiste du Proche-Orient, observe que cet appel à s’indigner est venu comme annoncer les révolutions de Tunisie et d’Égypte. Dans le Times Literary Supplement, Sudhir Hazareesingh, bon connaisseur de la France, propose une grille de lecture pour expliquer le succès du livre. Indignez-vous ! est d’abord un nouveau témoignage de la « place unique des pamphlétaires dans la vie publique française ». Le « sens brûlant, viscéral de l’injustice » rappelle Voltaire et Rousseau. Hessel s’inscrit dans « une longue tradition de l’engagement des intellectuels », allant de la fin des Lumières à Jean-Paul Sartre. Mais Hessel exprime aussi beaucoup du Zeitgeist (esprit du temps) de la France d’aujourd’hui. Il incarne le rôle « dominant » de la Résistance dans l’imaginaire collectif et la conception d’une « robuste citoyenneté républicaine » qui lui est associée. En même temps, Hessel s’en prend « à l’ordre moral et au conformisme des institutions », dont un brillant exemple fut l’interdiction de venir débattre de son livre dans l’enceinte de l’École normale supérieure (dont il est issu). Et puis, Hessel représente bien le sentiment de désespoir qui anime maints progressistes devant l’état « insipide et fissipare » de la gauche politique. Il ne cherche pas à transcender sa fragmentation ; on peut même lui objecter que l’« individualisme moral » de sa position ne sert pas la cause d’une action collective. Mais il compense cette faiblesse en exprimant la rupture consommée d’une majorité de Français à l’égard de « la vacuité et la vulgarité » du sarkozisme.