Pourquoi l’Amérique soutient Israël

Comment expliquer l'indéfectible soutien que l'Amérique apporte à Israël, un soutien qui traverse les gouvernements et les péripéties ? L'explication traditionnelle – la puissance du lobby juif – est bien courte. Les juifs ne sont que 6 millions aux États-Unis, et leurs inclinations les porteraient plutôt vers la gauche et le parti démocrate. Leur influence est atomisée en quelque 500 organisations, et leurs vues à l'égard de la question israélienne sont tout saufs unanimes. Non, il faut chercher ailleurs les raisons de cette allégeance : dans les étranges croyances de la droite religieuse américaine, qu'une jeune chercheuse française, Célia Belin, explore attentivement dans un livre érudit mais d'une lecture très stimulante. Il faut dire que la matière est riche.

Les chrétiens fondamentalistes, évangélistes protestants, néo-évangélistes, adventistes, et autres membres de la « majorité morale » de feu le Pasteur Jerry Falwell – c'est-à-dire tous les « bible-believing christians » – représentent un bon tiers de la population américaine ! Et dans cet ensemble disparate, on partage au moins une certitude : que la Bible est d'émanation strictement divine, et qu’elle doit être lue littéralement, « préceptes sur préceptes, règles sur règles », comme dit le prophète. Or, au sujet d'Israël, le propos biblique est sans la moindre ambiguïté : Dieu a donné aux Juifs un territoire s’étendant « du Nil jusqu'à l'Euphrate », dont Jérusalem serait la capitale éternelle ; pays « que Dieu créa en un seul jour », selon Isaïe, que Ben Gourion recréa devant l'ONU le 14 mai 1948, puis que le très pieux Harry Truman reconnut à peine 11 minutes plus tard, contre l'avis du Département d'État du reste.

 

Première conséquence : tout vrai croyant se doit d’accompagner le « projet divin ». « Je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai ceux qui te maudiront » avait promis Jéhovah à Israël. Et, comme l’a fait remarquer un propagandiste du sionisme chrétien, toutes les nations qui se sont mises en travers du projet divin l'ont payé chèrement, de l'empire romain à l’URSS, en passant par une longue liste de pays musulmans particulièrement maltraités par l'histoire contemporaine. Deuxième conséquence, peut-être plus problématique encore, de cette lecture fondamentaliste de la Bible : c'est péché que de vouloir séparer le temporel du spirituel. Le devoir de l'électeur américain, c'est de porter au pouvoir des gens soucieux « d'harmoniser la terre avec le ciel » comme l’a dit Tocqueville. Jerry Falwell a exprimé les choses encore plus directement : « l'idée que la religion et la politique ne se mélangent pas a été inventée par le diable afin d'empêcher les chrétiens de diriger leur propre pays » ! De fait, tous les gouvernants américains se sont engouffrés dans cette brèche religieuse, notamment Nixon, Carter, Reagan, les Bush père et fils, et même aujourd'hui Obama. McCain avait un peu manqué le coche, et c'est pourquoi il est allé récupérer au fin fond de l'Alaska la fort dévote Sarah Palin.

Les dirigeants juifs pour leur part – notamment Begin et Nétanyahou – n'ont pas fait la fine bouche devant le support inattendu de cette droite chrétienne. Pourtant, on trouve de tout dans le bric-à-brac du sionisme chrétien : des illuminés ; des cyniques, comme les « restaurationnistes » du XIXe siècle (au nombre desquels Palmerston et Napoléon) qui souhaitaient un foyer juif au Proche-Orient pour faire pièce à l'empire turc ; des philosémites, qui rappellent que Jésus était juif, circoncis, rabbin, et « Roi des juifs » présumé. Et même des antisémites. Car pour certains millénaristes, les malheurs d'Israël sont le signe, bienvenu, que le temps des Tribulations s'achève et que la glorieuse fin des temps est proche ; et alors les juifs devront choisir entre conversion au christianisme et damnation éternelle.

Le monde fantastique du fondamentalisme américain, dopé par le 11 septembre, est aujourd'hui en pleine effervescence. La chute du communisme avait déjà réorienté la vindicte de cette droite chrétienne vers l'islam, en une alliance de deux des fils d'Abraham, judaïsme et chrétienté, contre le troisième (voir le blog « Les enfants d’Abraham en guerre »). D’où les appels à brûler le Coran, ou l'opposition à la construction d'une mosquée proche du « Ground Zero ». D'où, par choc en retour, l'émergence d'une gauche chrétienne, environnementaliste (encore une préconisation biblique !), et même « abrahamique », c'est-à-dire prônant l'unité et donc la réconciliation des trois religions du livre. Tout le pan libéral du judaïsme américain, quant à lui, fronce aussi du nez devant ce rapprochement incongru avec la droite religieuse la plus extrême. Voilà qui redistribue les cartes ! Mais comme l'écrit très finement Célia Belin : désormais, « les divisions idéologiques se décident de moins en moins entre les différentes religions et de plus en plus entre les degrés de religiosité ».

LE LIVRE
LE LIVRE

Jésus est juif en Amérique. Droite évangélique et lobbies chrétiens pro-Israël de Pourquoi l’Amérique soutient Israël

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