Quand la dystopie devient plausible
Publié en mars 2020. Par Pauline Toulet.
Dans Sinfín, son dernier roman, le journaliste et écrivain argentin Martín Caparrós imagine un monde dans lequel la technologie se serait approprié ce qui était autrefois le monopole des religions : la vie éternelle. Nous sommes en 2070, et une fraction de l’humanité – la plus riche, naturellement – a désormais accès à l’immortalité grâce à une technologie permettant de transférer sa conscience à une machine. Le 天 (« paradis »), le réceptacle virtuel dans lequel les consciences humaines sont transférées pour l’éternité, devient bien sûr l’objet de toutes les convoitises.
Dystopie originale
« Il ne s’agit pas d’un roman dystopique habituel – ce sous-genre si populaire ces dernières années – qui se concentrerait sur la révolte d’un personnage contre un système totalitaire ou une technologie tellement omniprésente qu’elle ne laisse plus la possibilité de penser par soi-même » prévient Gonzalo Santos dans le bihebdomadaire argentin Perfil. Et le critique poursuit en soulignant que ce qui fait l’originalité du livre, c’est sa forme : la narratrice est une journaliste enquêtant sur « LaMásBellaHistoria » (« LaPlusBelleHistoire »), le récit mythologique de la façon dont l’humanité est parvenue à vaincre la mort. Le roman s’apparente ainsi à une chronique journalistique et reprend tous les codes de la non-fiction. Un genre dont Caparrós est familier, puisqu’avec ses 40 années de carrière, il est l’une des voix majeures du journalisme en langue espagnole.
Un monde méconnaissable mais plausible
« Caparrós décrit dans le détail un monde certes méconnaissable mais qui semble plausible », estime Jorge Morla dans le quotidien espagnol El País. Et pourtant, le futur imaginé par le romancier n’est guère séduisant : en 2070, les États-nation se sont effondrés, les tensions sociales sont exacerbées du fait de l’inégalité d’accès à l’immortalité, les grandes entreprises technologiques règnent sans partage. Et Caparrós de se justifier, dans les colonnes de Perfil : « Nous sommes dans l’un de ces moments où nous ne savons pas quel futur nous souhaiterions, quelle société nous voudrions bâtir. L’avenir apparaît donc non pas comme une promesse, ce qu’il a souvent été par le passé, mais comme une menace : menace écologique, menace politique, menace sur le bien-être de la population ».
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