Quand les bibliothèques brûlent
Publié le 10 septembre 2020. Par Amandine Meunier.
Le 25 août 1992, les forces armées serbes pilonnent la bibliothèque nationale et universitaire de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo pendant que leurs snipers abattent quiconque tente de sauver ses collections. Un million et demi de livres, manuscrits, cartes, photographies et autres documents sont détruits dans cette opération visant « à éradiquer la présence pluriséculaire des populations musulmanes dans les Balkans », écrit Richard Ovenden, le directeur de la prestigieuse bibliothèque Bodléienne de l’université d’Oxford dans Burning the Books. Brûler ces livres faisait bel et bien partie d’un « processus génocidaire. »
Pouvoir et savoir
Ovenden revient notamment dans son livre sur la destruction des bibliothèques de Sarajevo et d’Alexandrie, et sur le sauvetage de l’œuvre de Kafka ou des archives de l’Irak moderne. Mais dans ces parchemins brûlés et ces documents sauvegardés, « ce qui l’intéresse vraiment c’est la relation entre savoir et pouvoir », note l’historien Timothy W. Ryback dans la Literary Review.
Le point de départ de Burning the Books est une tribune qu’Ovenden a publiée en 2018 dans le Financial Times au moment de l’affaire « Windrush », qui avait contraint la ministre de l’Intérieur britannique à la démission. Celle-ci venait de durcir la loi sur l’immigration en obligeant à produire un justificatif de citoyenneté ou d’entrée légale sur le territoire pour de nombreuses démarches. Toute une génération d’immigrés originaires des pays du Commonwealth ne pouvaient pas en produire. Et pour cause. À l’époque de leur arrivée, entre 1948 et 1971, ils n’avaient besoin d’accomplir aucune formalité pour s’établir au Royaume-Uni, et, pire, les seuls documents qui auraient pu attester aujourd’hui de leur bonne foi, des cartes d’embarquement, avaient été détruites par le Home Office lui-même.
Menace sur les archives numériques
« Dans les sociétés libres, la menace plane toujours sur nos archives, souligne Michael Skapinker dans le Financial Times. On serait tentés de penser que le danger de voir s’effacer tous nos textes est derrière nous puisque nous pouvons les stocker numériquement. C’est une erreur, selon Ovenden ». Il est facile d’effacer toutes traces d’un site internet ou d’une information sur un disque dur. Et surtout, « une part disproportionnée de la mémoire du monde a été sous-traitée à des entreprises sans que la société en ait conscience ou en comprenne les conséquences », écrit Ovenden, appelant à se méfier de la privatisation du savoir et du « capitalisme de surveillance ».
À lire aussi dans Books : Quand c’est gratuit, mai 2019.