Écran noir
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Au revoir belle gitane


Edouard Debat-Ponsan, La gitane à la toilette, 1896

Cette semaine, les femmes roms sont à l’honneur sur grand écran. Le documentaire 8, avenue Lénine suit Salcuta Filan, une mère rom roumaine qui vit en banlieue parisienne depuis 15 ans. Le film espagnol Carmen et Lola raconte l’amour impossible entre deux gitanes. Des représentations bien loin des clichés véhiculés par la culture occidentale depuis des siècles.

Les roms ne sont pas absents de l’art et de l’histoire. Mais ce peuple sans écrit n’y est présent qu’à travers le regard des autres, note le linguiste Yaron Matras dans I Met Lucky People. Ainsi les femmes roms dans la littérature, la peinture et la musique occidentale reflètent surtout les fantasmes de notre société. « La gitane » est systématiquement dépeinte avec une charge érotique. Elle attire et repousse à la fois.

Dans la peinture, elle expose systématiquement son décolleté de manière suggestive. Beaucoup d’artistes ne peignent pas les femmes roms d’après nature, mais des « bohémiennes » ou des « gitanes » selon l’idée qu’ils s’en font. Le tableau que Frans Hals, peintre de l’âge d’or flamand intitule La Bohémienne en 1630 a toutes les caractéristiques d’un portrait de courtisane. C’est la maîtresse de Renoir qui pose pour son En été, la bohémienne (1868). Et le modèle de Corot pour sa Gitane à la fontaine est italien. La Gitane pensive de Gustave Courbet, toute en décolleté et en cheveux, légitime le stéréotype. Avec sa Gitane à la toilette (1896), Edouart Debat-Ponsant est l’un des rares à offrir un portrait plus réaliste. Son modèle est assis pieds nus au bord d’une rivière avec une roulotte à l’arrière-plan.

La littérature elle aussi n’a pas manqué d’utiliser l’image de la bohémienne sensuelle. L’Esméralda de Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris est un modèle du genre. Elle est présentée comme la danseuse belle, exotique et passionnée dont tous les hommes rêvent. Les Carmen de Mérimée et Bizet ne sont pas en reste. La gitane y est magicienne, séductrice, indépendante, farouche. Et au XXe siècle encore, dans Bons baisers de Russie, Ian Fleming met James Bond aux prises avec deux gitanes armées d’un couteau. Le mythe se prolonge avec la célèbre image de paquets de cigarettes bien françaises.

 

À lire aussi dans Books : Le temps des nouveaux Gitans, septembre 2011.

LE LIVRE
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I Met Lucky People: The Story of the Romani Gypsies de Yoran Matras, Allen Lane, 2014

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