Le sifflement et le cerveau
Publié le 8 mars 2019. Par La rédaction de Books.
Sibel, © Pyramide Distribution
L’héroïne de Sibel, film de la cinéaste turque Çagla Zencirci et du réalisateur français Guillaume Giovanetti, est une jeune femme muette qui utilise le langage sifflé courant dans son village de Turquie pour pallier son handicap. Kuşköy « le langage des oiseaux » fait partie des plus de 70 langues sifflées répertoriées par le linguiste et bioacousticien Julien Meyer dans Whistled Languages. Le mazatèque au Mexique, le gavião en Amazonie, le ari en Afrique, le béarnais dans les Pyrénées… ne sont pas des langages à part entière. Ils sont une adaptation de la langue locale dans des tons perçants qui peuvent être entendus jusqu’à plusieurs kilomètres.
D’ailleurs, pour des oreilles novices, ils n’apparaissent pas totalement comme des sifflements comme les autres. Dans une étude publiée en 2017 dans Frontiers in Psychology, Julien Meyer montre que des personnes écoutant pour la première fois des voyelles espagnoles sifflées parviennent à les identifier, sans entraînement. Ce serait là le fruit de la « flexibilité perceptive » de notre cerveau, une capacité essentielle à l’apprentissage du langage qui permet de distinguer dans la parole les unités linguistiques.
Mais notre cerveau n’analyserait pas pour autant les langages sifflés comme n’importe quelle autre langue. Même si les neuroscientifiques savent depuis longtemps que les fonctions cérébrales ne se divisent pas clairement entre les hémisphères gauche et droit, le gauche semble jouer un rôle prédominant dans la compréhension du langage, le droit pour appréhender le ton, la mélodie, le rythme. Et face à la langue sifflée ? Les deux hémisphères sont engagés de la même manière. C’est ce qu’indique une expérience menée par le biopsychologue allemand Onur Güntürkün sur 30 siffleurs de Kuşköy. Pour le chercheur, c’est un signe que la façon dont l’information est transmise change l’architecture du cerveau.
À lire aussi dans Books : Deux idées reçues sur les langues, mai 2011.