Sparte ou Athènes ?

Au moment où, en France, le 33e ministre de l’Éducation de la Ve République engage une énième réforme de l’école, il nous a paru intéressant de proposer une réflexion fondée, à la manière de Books, sur les réalités du terrain et les expériences menées dans d’autres pays. Il est de mode aujourd’hui de mettre en avant les « bonnes pratiques » ayant fait leurs preuves ici ou là et de s’en inspirer pour prendre des mesures. Mais la notion de « bonne pratique » diffère ­selon l’idée que l’on se fait de la fonction de l’école. Quels objectifs se donne-t-on ? Si l’on ­observe les pratiques en Chine, en Allemagne, aux États-Unis, en Jordanie ou au Kenya, on se rend vite compte que les objectifs ne sont pas les mêmes. Faut-il privilégier l’acquisition par tous d’un certain niveau de connaissances dans des matières prédéfinies ? Faut-il favo­riser la sélection en vue de l’accès à des universités qui se font concurrence ? Faut-il plutôt mettre l’accent sur les moyens d’assurer le bon fonctionnement de l’ascenseur social ? Faut-il viser en priorité un enseignement adapté à la société actuelle et à ses mutations prévisibles ? Faut-il préférer forger le caractère et l’apprentissage de l’autonomie en misant sur les spécificités de chaque enfant ? Faut-il embrigader, faut-il former à l’exercice de la liberté ? Il n’y a pas de « bonne pratique » en soi. À moins peut-être de renverser la perspective et de se dire que, indépendamment des objectifs à terme, l’essentiel est que l’école soit un lieu où tant les enseignants que les élèves sont motivés et prennent plaisir à ce qu’ils font. Par ailleurs, si l’on juge qu’un système fonctionne mieux qu’un autre, il reste à s’assurer qu’on en comprend les raisons. Or ces raisons plongent nécessairement leurs racines dans l’histoire profonde du pays en question, dans ses mœurs, dans ses règles de vivre-ensemble. À des raisons apparentes, faciles à mettre en avant, s’ajoute un cortège de déterminants beaucoup plus obscurs et peut-être plus ­décisifs, que l’on ne saurait transposer à un pays de culture différente. Il est frappant de voir que, dans la petite Grèce classique, au Ve siècle avant notre ère, deux systèmes scolaires diamétralement oppo­sés se faisaient concurrence. Sparte, dans le sud du Péloponnèse, avait institué des écoles d’État. Il s’agissait d’un embrigadement militaire, dont l’organisation évoque le fascisme. Les garçons, en pension, apprenaient des rudiments de lecture et d’écriture mais étaient surtout entraînés aux exercices physiques, à la dure, pour se préparer à la guerre. Ils recevaient également une instruction musi­cale, instruments et chant. Les filles aussi recevaient une éducation physique poussée, s’exerçant à la lutte, au lancement du disque et du javelot. À l’exercice comme dans les chœurs, elles se produisaient les cuisses nues, ce qui stupéfiait les Athéniens. Chez eux, en effet, les filles et les femmes vivaient recluses. Et le système éducatif était tout autre, entièrement privé. L’enfant était d’abord confié à la mère ou à la nourrice, qui l’initiait à la mythologie et lui faisait apprendre des contes par cœur. À partir de 7 ans, le garçon allait en groupe (ou conduit par un esclave, si sa famille était riche) chez un maître de grammaire, puis chez un maître de cithare, puis chez un maître de gymnastique. Il apprenait à lire et à écrire, connaissait par cœur des pans entiers des poèmes homériques, jouait d’un instrument et exerçait son corps. De Sparte ou d’Athènes, quelle était la meilleure pratique ? Athènes, a-t-on envie de répondre. Mais c’est Sparte qui, en 404 avant notre ère, a vaincu Athènes et imposé le régime des Trente Tyrans. Il est en tout cas un secret à ne révéler à aucun écolier : le mot « école » vient du grec σχολή (skholè), qui voulait dire à l’origine « temps de loisir, temps de repos ».

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