Tous cannibales
Publié dans le magazine Books n° 83, mai / juin 2017.
Personne ne fait revenir son voisin aux petits oignons avec une pointe de piment. Et pourtant, manger un membre de sa propre espèce est totalement naturel, explique le biologiste Bill Schutt. Chez les invertébrés, c’est même la règle plutôt que l’exception. Pour les autres, c’est tout à fait commun. Tout le monde connaît les petites habitudes de la mante religieuse. Mais le requin-taureau ou la limace-banane n’ont pas plus d’égards pour leurs semblables.
« Chez les animaux, le cannibalisme peut offrir des avantages évolutifs pour faire face à des problèmes que Schutt résume ainsi : trop d’enfants, pas assez de place, trop de mâles, pas assez de nourriture », souligne Bee Wilson dans The Guardian.
Les humains eux-mêmes ne s’entre-dévorent pas uniquement quand ils n’ont rien d’autre à se mettre sous la dent. Un livre de cuisine de la dynastie chinoise Yuan présente les diverses façons d’accommoder la viande humaine, des mets raffinés pour les aristocrates de l’époque. Il était aussi de coutume pour les jeunes Chinois de couper un morceau d’eux-mêmes (dans la cuisse ou le bras) pour le servir en soupe à leurs aînés. Dans les Caraïbes, on mangeait parfois ses ennemis pour absorber leur force ou leur courage.
« Ce livre, en fait, m’a redonné foi en l’humanité, assure Sy Montgomery dans The New York Times. C’est bon de savoir que, pour ce qui est de ce comportement particulier, au moins, les humains ne sont pas plus horribles, ou formidablement surprenants, que n’importe quelle autre espèce. » D’autant plus que, pour Schutt, ces pratiques touchent toutes les parties du globe, y compris l’Occident : aux États-Unis, des mères goûtent bien à leur placenta (d’un grand intérêt nutritif) pour se remettre d’un accouchement. Et en Europe, à la Renaissance, des morceaux de corps humain servaient à faire des décoctions médicinales tandis que le sang était consommé pour traiter l’épilepsie.