Vive l’accès libre aux livres

Il suffit de se promener quelques minutes dans la superbe imprimerie de Plantin-Moretus à Anvers pour commencer à comprendre pourquoi il faut payer pour lire des livres. Encerclant un beau jardin intérieur, l'édifice de cette imprimerie considérable créée au milieu du XVIe siècle démontre rapidement qu'il s'agit là d'une double chaîne de montage de textes : d'une part, on progresse à travers les antres des fils de Vulcain, en ces endroits où les aciers fins et durs sont ciselés, où les matrices sont frappées et enfin où l'alliage de plomb et d'antimoine est fondu pour produire les polices de caractères soigneusement rangées dans les casses; par ailleurs, le long d'un autre circuit, le manuscrit est choisi, étudié jusqu'à ce qu'une version stabilisée soit agréée par les spécialistes. Finalement, les deux chaînes convergent sous la presse et les feuilles sortent imprimées.

Tout cela coûte cher, très cher. Pour imprimer, il faut investir, risquer du capital, risquer des ratés, et espérer récupérer la mise, voire même faire un petit profit. L'imprimerie condamne le texte au commerce et l'habitude est prise depuis si longtemps maintenant qu'imaginer autre chose, maintenant, paraît utopique, absurde, bref impensable.

Pour des catégories entières de livres, ce raisonnement tient sans aucun doute. Mais de là à penser qu'il est de valeur universelle, il y a là un pas qu'il ne faut pas trop aisément franchir. Pensons, par exemple, aux livres avec un tout petit marché, très spécialisés, fruits le plus souvent de doctes recherches universitaires. Pourquoi continuer de produire ces livres selon les méthodes traditionnelles ? La question se pose d'autant plus que :

1.    Ces livres sont le fruit de recherches soutenues directement et/ou indirectement par des institutions publiques. Par exemple, au Canada, ces livres sont souvent le point d'aboutissement de fonds de recherche obtenus par concours auprès du Conseil de recherche en sciences humaines;
2.    Ces livres font souvent l'objet de subventions pour la publication. Toujours au Canada, environ 180 titres par an reçoivent environ 5 000 € chacun, somme qui diminue de beaucoup les risques encourus par les presses se chargeant de la publication de tels ouvrages;
3.     Ces ouvrages ne sont pas utiles qu'aux spécialistes. Bien diffusés, ils pourraient considérablement enrichir les conditions de travail de nombreux professeurs, enseignants et étudiants à différents niveaux du système scolaire et universitaire du pays;
4.    Ces ouvrages ne sont pas toujours lus au sens d'une lecture attentive, lente, crayon à la main; parfois ils sont consultés pour retrouver des faits ou des détails sur quelque personne, évènement, concept ou théorie. C'est pour cette raison que les meilleures maisons d'édition ajoutent un index aux livres. Cela dit, retrouver de l'information dans un codex demande du temps et de la patience et on se prend à rêver à la possibilité de rechercher de l'information en utilisant des outils simples comme on en rencontre dans un traitement de texte, ou dans un logiciel de lecture de fichiers en format pdf. On se surprend même à désirer un brin de Google...

Quelques presses ont compris tout cela et font ce qu'il faut pour conserver l'accès à l'imprimé, tout en offrant le document numérique. Oui ! Un accès libre et gratuit au fichier électronique.
Voici quelques exemples pour convaincre les sceptiques en train de secouer la tête en grommelant qu'il ne faut pas la leur faire... :

1.    Afrique du Sud: Le Human Sciences research Council publie des ouvrages de recherche. Vous pouvez aller chercher tous leurs livres gratuitement, en format numérique, à cette adresse, ou acheter une version papier;
2.    Les presses de l'Université nationale australienne offrent un accès libre à une collection croissante de titres sous forme électronique. En 2005 (oui, déjà en 2005 !), près de 400 000 volumes ont été téléchargés partout dans le monde. En 2006, le nombre dépasse 700 000 et en 2007, on en arrive à environ 1 million ¼ de téléchargements. Par comparaison, nombre de titres produits par les presses universitaires nord-américaines  languissent en-dessous du seuil, dérisoire par comparaison, de 700 exemplaires vendus...
3.    Aux États-Unis, les « National Academies press » vendent leurs ouvrages sur papier, et, un peu moins cher, en format électronique. Vous pouvez aussi acheter en format électronique chapitre par chapitre. Mais vous pouvez aussi lire tout le livre en ligne. Si vous ne me croyez pas, allez explorer leur site.
4.    Au Canada, Athabasca University Press a lancé sa collection en accès libre au début de l'été dernier et vous pouvez aller vous promener sur le site de cette petite presse pour aller quérir quelques titres intéressants. Je suis sûr que vous allez tous vous précipiter sur le titre suivant : « Radical Prostate Surgery » et ainsi vérifier que le radicalisme, au Canada, se débusque dans les endroits les plus surprenants...
5.    Et en Europe ? Ah ! En Europe... Eh bien,. Il y a OAPEN, mais chut pour le moment. Je vous en dirai un peu plus dans un mois environ... Il y a aussi Open Humanities Press qui couvre surtout des revues en accès libre, mais qui va se lancer dans les livres aussi.

La liste ci-dessous ne vise pas l'exhaustivité, mais elle couvre néanmoins certains des exemples les plus marquants de cet accès libre à des livres récents de recherche. Et le plus drôle, c'est que l'accès libre aux fichiers électroniques stimule la vente du papier imprimé, celui-ci étant produit de plus en plus en flux tendu, à la demande.

Et en France ? Hormis les Presses de l'Université de Lyon qui avancent dans cette direction grâce à Jean Kempf, je ne connais pas d'exemples de presses offrant un accès libre aux fichiers numériques de leurs ouvrages. Mais c'est peut-être simple ignorance de ma part et apprendre quelque chose de neuf me rendrait fort heureux...
LE LIVRE
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1968. Le long chemin de la démocratie de Vive l’accès libre aux livres, Cal y arena

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