La complétude du poème

En retrait de la vie publique, décédé au printemps dernier, Herberto Helder a su gagner auprès du lectorat cette aura que, depuis Baudelaire, les poètes avaient perdue.

Du plus grand poète portugais contemporain, décédé le 23 mars dernier, on sait très peu de choses : Herberto Helder n’a jamais accordé le moindre entretien. À peine dispose-t-on de quelques photos. Le poète a tout fait pour éradiquer de son œuvre la personne de l’auteur, pour éviter que ce dernier ne s’interpose entre ses textes et les lecteurs. Mais son éloignement, sa distance d’avec le milieu médiatique et son rejet de tout culte de l’auteur ont paradoxalement alimenté un « mythe » Herberto Helder, celui du « poète obscur ». Au fil des ans, écrit António Guerreiro dans le quotidien Público, « son geste de retrait lui a fait gagné une “aura” – cette chose que, depuis Baudelaire, les poètes avaient perdue, sans d’ailleurs chercher à la récupérer ». « Incertain grandit un poème / Dans les désordres de la chair. / Il monte sans mots encore, purs plaisir et férocité, / Peut-être comme du sang / Ou une ombre de sang irriguant l’être. » Depuis les années 1950, Herberto Helder a composé un édifice de vers et de prose d’une extraordinaire richesse formelle et métaphorique. En 1973, il rassemble tous ses poèmes en un seul, faisant disparaître toute référence au titre des ouvrages et des poèmes de manière à montrer leur multiplicité comme une totalité continue. Un geste qu’il renouvellera à plusieurs reprises, en 1990, 1996… et 2014. « Toute la poésie », « Poème continu », « Poèmes complets » : l’audacieuse anthologie grossit, change de nom, sans jamais perdre foi en la poésie, cet « absolu réel », ni en le poème, « réalité de cet absolu ». « Empreinte d’une “tonalité orphique”, poursuit le critique de Público, la poésie de Helder exhume une voix ancienne, qui semble ne pas être de notre temps, qui n’est ni d’ici ni de maintenant, et qui n’appartient pas même au temps de l’histoire. Elle vient d’un temps mythique, comme les poèmes des civilisations antiques, gouvernées par les rites et les cycles. Elle renvoie à l’immémorial, qui nous parvient par la voix du mythe et se situe en dehors de notre chronologie. » Publiée en mars 2014, Poemas completos (« Poèmes complets »), la dernière en date des anthologies de ses œuvres, a fait l’objet de plusieurs retirages pour faire face à la demande des lecteurs portugais depuis la disparition du poète au début du printemps. Helder y anticipait la mort avec une cruauté sans fard. « J’ai oublié de cultiver : famille, innocence, délicatesse, / je vais mourir comme un chien jeté dans la fosse ! » Et puis, un peu plus loin, conscient que ses dons créateurs ne l’avaient pas encore tout à fait abandonné : « La mort fait de ton corps un nœud qui chancelle et s’éteint, / et toi tu regardes vers les petites choses / et vers où tu regardes tout est illuminé. »
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Poèmes complets de Herberto Hélder, Porto Editora, 2014

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