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Condamné en appel comme organisation criminelle en octobre 2020, le parti néonazi grec Aube dorée a vu ses principaux responsables emprisonnés pour meurtre. Figure centrale de cette affaire historique, l’avocat de l’accusation Thanásis Kambagiánnis dresse le réquisitoire implacable de ces « loups » aux portes du pouvoir dès 2012. Il leur oppose la « solidarité du monde des abeilles », en rendant hommage aux adolescentes grecques et aux immigrés qui témoignèrent à ­visage découvert. La revue culturelle en ligne Lifo prescrit cette « leçon de démocratie » qui « sort de la cour d’appel pour dialoguer avec l’Histoire » et mériterait d’être enseignée en classe. Selon cette revue, « la puissance sereine de la parole de l’avocat fait face à la force brute » symbolisée par l’assassinat en pleine rue du rappeur antifasciste Pávlos Fýssas en 2013.
D’une haute teneur politique, ce plaidoyer révèle comment ratonnades et exactions, loin d’être des actes isolés, furent méthodiquement organisées et bénéficièrent du soutien tacite de la police. Célé­brant une « précieuse source de force morale », le site d’information ­AlterThess appelle à y puiser au-­delà du procès. 

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L’avantage incomparable de l’histoire romaine ? Avoir un début, un milieu et une fin ; constituer donc un objet d’étude complet et, de ce fait, un modèle pour comprendre les histoires qui, comme la nôtre, ne sont pas (encore) finies. Dans son Histoire incorrecte de Rome, Giusto Traina ne déroge pas à ce principe au moins aussi vieux que les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, de Montesquieu. « De te fabula narratur » (« C’est de toi que parle cette histoire »), annonce d’emblée son premier chapitre, qui, comme les suivants, a pour titre une citation latine. Et Traina d’expliquer sa démarche : « Nous allons essayer de comprendre pourquoi nous sommes tous concernés par l’histoire romaine. » Plus qu’une nouvelle histoire de Rome, il nous propose une promenade à travers une grande variété de thématiques, « une galerie de personnages et d’épisodes », selon les termes de Ludovica Virgili sur le site culturel PuntoZip. Dans un entretien publié sur un autre site culturel italien, Letture, Traina note que « la logique du monde universitaire tend à récompenser ceux qui se concentrent sur des thèmes étroits ». Son ouvrage se veut, lui, accessible, ludique (il est illustré de dessins et de photos) et tout sauf étriqué quant aux sujets qu’il aborde.
On y découvre ou, plutôt, redécouvre (Traina ne prétend pas révolutionner l’interprétation de l’histoire romaine) « comment Romulus a fondé la Ville éternelle en accueillant des migrants. Comment César a exterminé plus de 400 000 Germains pour sécu­riser ses frontières. Comment le fait de piétiner les bouches d’égout romaines portant l’inscription SPQR équivaut à un crime de lèse-majesté. Comment le concept de jus soli [droit du sol] est une élaboration des juristes médiévaux. Et, enfin, comment pas moins de 210 raisons différentes ont été invoquées pour expliquer la chute de l’Empire », résume Virgili.
Parmi cette pléthore d’hypothèses, Traina tord le cou à celle du saturnisme, qui voudrait que les Romains aient fini empoisonnés par leurs canalisations en plomb : trop déterministe. Les arguments avancés récemment par l’Américain Kyle Harper en faveur d’un refroidissement climatique ayant entraîné des épidémies ne trouvent pas davantage grâce à ses yeux [lire « Froid, épidémies, la fin de l’Empire romain », Books n° 95, mars 2019]. Ce débat est étroitement lié à une autre controverse : on sait que la partie occidentale de l’Empire tomba en 476, bien plus tôt que la partie orientale. Mais à partir de quand cette partie orientale, qui devait survivre formellement jusqu’en 1453, a-t-elle cessé d’être vraiment « romaine » ? Traina tranche pour l’époque de Justinien, lequel fut, selon lui, sinon le « dernier Romain », du moins le « dernier empereur à avoir ­tenté de restaurer le grand empire ­méditerranéen ». 

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L’Écossais Graham Bell a inventé le téléphone en cherchant le moyen d’aider les sourds à communiquer. Sa mère, pianiste, avait perdu l’ouïe enfant et lui avait appris le langage des signes. Son père avait créé un système de transcription phonétique, le Visible Speech, qui décrivait les mouvements de la bouche et de la gorge pour encourager les sourds à apprendre à parler. Adolescent, Graham fabriqua avec son frère un automate simulant la parole. Entraîné par son père, il devint un spécialiste de l’enseignement du Visible Speech.
Lorsque, émigré en Amérique, il inventa le téléphone, il y vit surtout l’opportunité de gagner de l’argent pour mieux se consacrer à la communication entre sourds. Il se maria avec une sourde et créa une école pour les sourds, qu’il dut fermer après s’être rendu compte que l’apprentissage du Visible Speech était préjudiciable au développement des enfants. S’étant par ailleurs passionné pour les questions d’hérédité, il publia un article scientifique dans lequel il s’inquiétait que les mariages entre sourds créent une « variété déficiente de la race humaine ». Sans aller jusqu’à approuver une loi interdisant ces mariages, il participa activement au mouvement eugéniste. 

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Après avoir publié trois romans remarqués, le Mexicain Emiliano Monge s’essaie à un genre qui, bien que très prisé en France, reste relativement marginal en Amérique latine : l’autofiction. Son histoire familiale telle qu’il la raconte dans Omissions contient, il faut le dire, son lot de personnages romanesques. Dans la famille Monge, vous avez le grand-père, Carlos Monge ­McKey, qui, parce que sa vie l’ennuie, décide de mettre en scène sa mort et de recommencer une nouvelle existence incognito. Vous avez aussi le père, Carlos Monge Sánchez, qui déserte son foyer pour s’enrôler dans la lutte armée révolutionnaire. Et voici enfin le fils, Emiliano Monge, l’auteur du présent récit, qui semble avoir hérité d’un certain penchant pour la disparition et la fuite en avant.
« Ce roman échappe aux pièges de l’autofiction, tellement à la mode en Europe », juge Antonio Ortuño dans la Revista de la Universidad de México. Le projet de Monge n’a rien à voir avec une « soumission névrotique du monde à l’ego de l’auteur », poursuit-il. Un avis partagé par Yanet Aguilar Sosa, qui, dans le quotidien El Universal, souligne que, « tout en dépeignant la vie d’une famille sur trois générations, l’écrivain parvient à retracer l’histoire du Mexique ». De fait, le récit de Monge court sur quelque soixante-dix ans et aborde la ­genèse du narco-État mexicain, la formation du puissant Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), ou encore ce que les hispanophones appellent El Halconazo, ce massacre, le 10 juin 1971, de près de 120 étudiants lors d’une manifestation à Mexico.
Au-delà de sa dimension historique, Omissions est vu par la presse mexicaine comme une analyse quasi sociologique des rapports familiaux. « Le roman montre très bien comment la plupart des pères mexicains se comportent avec leurs enfants : sans sensibilité ni affection. Cette rudesse empêche le développement d’une masculinité saine », observe Felipe Restrepo Pombo dans le mensuel Gatopardo. Le critique salue également l’habile structure narrative du roman. Et pour cause : Monge entremêle trois voix singulières – celle de son grand-père, celle de son père et la sienne – en variant les modes d’énonciation. La vie du grand-père est racontée à travers son supposé journal intime ; le récit du père prend la forme d’un dialogue ; et la version d’Emiliano Monge est livrée à la troisième personne. Ce dispositif « permet à l’auteur de prendre de la distance et de composer certains des passages autobiographiques les moins complaisants que j’aie lus ces derniers temps », note ­Nadal Suau dans El Cultural. De quoi rassurer ceux qui, quand ils entendent le mot « autofiction », sortent leur revolver. 

[post_title] => Autofiction, mais à la sauce mexicaine [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => autofiction-mais-a-la-sauce-mexicaine [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:43 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:43 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=105202 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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« Cornu parce que copian, me dit-elle. Je le trompe avec toi parce que son optimisme confine à l’obscénité. Avec toi, au moins, je sais que l’humanité n’a plus de carte à jouer. Je le trompe mais je ne me trompe pas. Basta, les cornucopians ! »

D. P.

Cornucopian est un nom anglais désignant un intellectuel pour qui le progrès technologique assurera à coup sûr la poursuite du progrès matériel de l’humanité.

Aidez-nous à trouver le prochain mot manquant :
Existe-t-il dans une langue un mot désignant la vacuité de l’existence ?

Écrivez à

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«Corse de nation et de caractère, il ira loin, si les circonstances le favorisent », note un de ses maîtres à l’École militaire de Brienne, en Champagne, où le petit Buonaparte fut pensionnaire de 10 à 14 ans. Nommé premier lieutenant à Valence en 1791, il y rejoint le club des Jacobins et concourt au prix annuel de l’Académie de Lyon sur cette question : « Quels sont les sentiments qu’il importe le plus d’inculquer aux hommes pour leur bonheur ? » Contrairement à celui de Jean-Jacques Rousseau en 1750, son « discours » est classé bon dernier. Mais, deux ans plus tard, tout juste promu chef de bataillon, il fait merveille au siège de Toulon en dirigeant l’artillerie contre les Anglais. Il n’est pas encore en piste pour autant. La chute de Robespierre lui vaut de la prison ; il ne parvient pas à trouver un commandement militaire à sa dimension et envisage même de proposer ses services à la Turquie. Il en est là quand Barras fait appel à lui pour protéger la Convention, menacée par une insurrection royaliste. C’est à ce moment précis, le 5 octobre 1795, qu’est mise à feu la fusée à étages du « général Vendémiaire ». Quatre ans plus tard, après une époustouflante campagne d’Italie et une stupéfiante incursion en Égypte, le voilà Premier consul et maître du pays. Un parcours proprement fulgurant, dont on comprend rétrospectivement qu’il est pensé sur deux axes : prendre l’avantage sur le plan militaire et réorganiser la France.
À 26 ans, parti en Italie deux jours après son mariage avec une Créole de cinq ans plus âgée et mère de deux enfants, il contraint tour à tour le roi de Sardaigne, les ducs de Parme et de Modène et le pape Pie VI à signer un armistice ; Nice et la Savoie sont officiellement annexées. L’année suivante, l’Autriche doit capituler, cédant les Pays-Bas jusqu’au Rhin et la Lombardie. Des républiques sont proclamées en Italie. Aux yeux des Français, la paix est enfin restaurée. Mais la perfide Albion est toujours là, et Bonaparte part en Égypte pour tenter de l’asphyxier en lui coupant la route de l’Inde. Il arrive avec une cargaison de savants et le projet d’y exporter les institutions républicaines, tout en respectant le Coran. C’est là qu’il connaît ses premiers échecs. Échec politique, car les Égyptiens lui résistent. Échec militaire, car les Anglais lui barrent la route à Saint-Jean-d’Acre. Mais, en Europe, la coalition monarchiste a repris du poil de la bête et Sieyès cherche un « sabre ». Voyant que la poire est mûre, Bonaparte se dit que ce sera lui. Sur le chemin du retour, il manque de se faire intercepter par deux frégates anglaises.
Premier consul, il vient de fêter ses 30 ans. Dans la foulée, tout en assurant les victoires permettant de repousser la Coalition, il institue le Conseil d’État, la Banque de France, les préfets, les lycées, boucle le Code civil et fait signer un concordat au pape Pie VII, qui garantit la liberté de culte et réconcilie l’Église avec la Révolution.
Dans la préface du Coran qu’il avait emporté en Égypte, rédigée par un certain Claude-Étienne Savary, Bonaparte avait pu lire, à propos de Mahomet, qu’il était « un de ces hommes extraordinaires qui, nés avec des talents supérieurs, paraissent de loin en loin sur la scène du monde pour en changer la face et pour enchaîner les mortels à leur char ». De nos jours, parler d’hommes extraordinaires et de génies solitaires est passé de mode. Comme le montre notre dossier, il se trouve même des historiens pour affirmer que Napoléon était, somme toute, un « homme ordinaire ». Après les quelque 200 000 livres pondus à son sujet, on semble à court d’idées nouvelles. 

[post_title] => Bonaparte à 30 ans [post_excerpt] => [post_status] => publish [comment_status] => open [ping_status] => open [post_password] => [post_name] => bonaparte-a-30-ans [to_ping] => [pinged] => [post_modified] => 2021-07-01 07:02:42 [post_modified_gmt] => 2021-07-01 07:02:42 [post_content_filtered] => [post_parent] => 0 [guid] => https://www.books.fr/?p=105270 [menu_order] => 0 [post_type] => post [post_mime_type] => [comment_count] => 0 [filter] => raw )
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La version anglaise de Wikipédia le constate sobrement : Napoléon Bonaparte « reste l’une des figures politiques les plus célèbres et controversées de l’histoire de l’humanité. » Deux siècles après sa mort, et malgré les centaines de milliers de livres qui lui ont été consacrés (200 000, 300 000 ? s’interroge Douglas Johnson p. 36 de ce dossier), aucun véritable consensus ne se dégage, pas d’apaisement en vue : les actions du petit Corse à la trajectoire fulgurante – lequel, soit dit en passant, n’était pas si petit qu’on a voulu le faire croire (lire p. 22) – continuent d’embraser l’esprit des exégètes. Voilà tout de même un homme qui a pu être comparé aussi bien à Jésus qu’à Hitler. Qui d’autre pourrait prétendre à pareil grand écart dans l’interprétation de sa vie ?
Ce dossier reflète l’état encore incan­descent des études napoléoniennes. Il donne la parole aux admirateurs de l’Empereur comme à ses détracteurs, avec peut-être une petite préférence pour ces derniers, qu’on a moins l’habitude de lire dans les journaux français. Surtout, il tente de décentrer le débat, de le sortir des problématiques trop strictement hexagonales, en croisant les regards extérieurs : celui d’un grand stratège et géopoliticien comme Edward Luttwak (ci-contre), qui exprime bien le point de vue des irréductibles adversaires anglais, ou encore celui des Allemands, à la fois victimes et, à long terme, principaux bénéficiaires des bouleversements de la période (p. 27). Au-delà de toutes les polémiques, une certitude semble se déga­ger : en dépit de son génie, et peut-être même à cause de lui, Napoléon n’avait aucune chance de l’emporter (p. 41). 

B.T.

Dans ce dossier :

Chiens, chats et écureuils contre la grosse bête, Edward Luttwak (The New York Review of Books)

Petit et mégalo, vraiment ?, Thomas Schuler (Der Spiegel)

Un mythe allemand ?, Baptiste Touverey

Une fascination imméritée, Ferdinand Mount (The New York Review of Books)

Une passion anglaise, Jean-Louis De Montesquiou

En finir avec les légendes, Douglas Johnson (The London Review of Books)

Tel Hannibal, un grand perdant de l’Histoire, Baptiste Touverey

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La bêtise, par sa capacité de résistance et la facilité avec laquelle elle se reproduit, s’apparente à un virus.

Un système social est influencé par nos croyances à son sujet.

Il est inconcevable de voir deux chimpanzés portant ensemble une branche d’arbre.

Le bon sens aurait voulu que Napoléon n’aille pas à Waterloo.

Aucune guerre faite avec les mauvais alliés contre les mauvais ennemis ne peut aboutir à la victoire.

Napoléon a réveillé le nationalisme allemand.

On a recensé plus de 400 chansons anglaises pour moquer « Old Boney »

Le Napoléon de Jacques Bainville (1931) reste la biographie la plus intelligente et percutante.

L’homme moyen a un sein et un testicule.

Beaucoup de chercheurs ne manient pas l’incertitude avec suffisamment de précautions.

Le patron de Netflix prend au moins six semaines de congés par an et le fait savoir.

Un conflit d’intérêts peut être psychologique.

La corrida n’est pas cruelle et garantit la survie d’une espèce unique.

Le premier compositeur jamais recensé est une femme.

Les modèles des climatologues ne s’accordent même pas sur le niveau de la température moyenne.

La plupart des névroses dont parle Freud ont fait leur apparition après Freud.

Ce ne sont pas les réponses que nous trouvons qui nous grandissent, mais les questions que nous posons.

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Il semble difficile d’écrire un livre sur Napoléon sans s’en excuser. Alistair Horne évoque les 300 000 livres qui lui ont déjà été consacrés, chiffre qu’Edward Whitcomb nuance de façon substantielle (et bienvenue) en parlant seulement de quelque 200 000 volumes. David Chandler explique que depuis qu’il a écrit son excellent essai sur les campagnes de Napoléon, il y a dix ans, il est inondé de demandes d’informations complémentaires émanant des personnes les plus diverses – toutes, selon ses termes, « saisies par la gamme impressionnante des qualités et des ­talents de Napoléon ». À l’inverse, ­Simon Schwarzfuchs, dans son étude plus spécialisée sur Napoléon et les juifs, fait état d’un changement dans la réputation de Napoléon, laquelle se serait dégradée parmi les historiens1.
Cette modestie affichée par ceux qui écrivent sur l’empereur français n’est peut-être pas anodine. On ne s’attend pas à ce qu’un auteur s’excuse lorsqu’il entreprend de raconter une épopée roman­tique dont le héros connaît une ascension fulgurante, puis la défaite, l’exil, la solitude et une mort précoce. Un biographe comme Emil Ludwig s’était délecté de la symétrie d’une vie qui a débuté sur une petite île, s’est dilatée à travers tout le continent européen puis s’est achevée sur une autre petite île

2. Aucun auteur n’hésite, normalement, quand il s’agit de relater les drames et les gloires des batailles passées, même lorsque le sujet a perdu de son glamour et que l’on considère la guerre comme une triste litanie de marches, d’attentes, de froid, de faim et de mort. La difficulté consiste seulement à décider quel avatar de Napoléon est le plus intéressant à décrire. Est-ce le jeune général des campagnes d’Italie ? Le Premier consul qui dota la France d’institutions d’une longévité inattendue ? Est-ce l’empereur tout-puissant qui rencontra le tsar à Tilsit ? Ou bien l’empereur humilié qui abdiqua en 1814, passa sa garde en revue à Fontainebleau, « [leva] sa tente qui couvrait le monde », selon le mot de Chateaubriand, et partit s’exiler sur l’île d’Elbe ? Puis il y eut l’aventure des Cent-Jours et ce que Michelet appela « les tréteaux si haut placés » de Sainte-Hélène. Aucun auteur ne devrait être gêné d’avoir à choisir un épisode de cette saga si riche, non ?
Puisque les historiens ne dédaignent plus aujourd’hui les anecdotes du passé et croient que c’est à travers elles qu’ils peuvent atteindre une compréhension plus profonde de l’Histoire, ils devraient s’intéresser à Napoléon : ne connaissons-nous pas plus de détails sur sa vie quotidienne que sur celle de quiconque ? Nous savons ce qu’il aimait manger, quand et comment ; nous connaissons ses rêves et ses superstitions, comment il se comportait quand il était en colère, quel genre de compliments étaient susceptibles de le flatter, ce qu’il jouait au piano avec un seul doigt. Et nous pourrions aussi brosser un nouveau portrait de Napoléon en demandant aux linguistes d’étudier cet homme qui gouvernait en parlant et en dictant afin d’échapper à la tyrannie de l’écrit, qui se délectait de la liberté et de la magie de la parole.
Il nous faut donc expliquer la timidité avec laquelle les historiens abordent ce sujet, et il se pourrait bien qu’il y ait des raisons à leur réticence affichée. Parmi elles, il y a sans doute le fait que les années 1970 nous ont fait renouer avec ce type de crises dont l’ampleur est telle qu’elles ne se laissent ni résoudre ni comprendre par un unique individu. Il est de plus en plus difficile d’envisager le passé à travers un seul homme, si considérable qu’ait été son énergie ou sa perspicacité. Une autre raison pourrait être que, si Napoléon a pu autrefois être considéré comme un personnage grandiose et imposant – ne rêvait-il pas de lever une armée arabe, d’être sacré empereur d’Orient et de revenir à Paris en passant par Constantinople ? –, son histoire et celle de son empire semblent aujourd’hui presque clochemerlesques. Un jeune homme issu d’une famille pauvre de Corse s’empare du pouvoir, ses armées envahissent les régions voisines et il place ses frères et ses beaux-frères sur le trône des territoires conquis ; les bourgeois de Rouen l’applaudissent sur la place de la Bourse, Mgr de Rohan cherche à devenir aumônier de la Cour impériale et la duchesse de La Rochefoucauld devient la première dame d’honneur de l’impératrice Joséphine (née Rose Tascher). Mais, très vite, tout s’effondre. Ce ne sont là que quelques années dans l’histoire de la France et de l’Europe, quand bien même Napoléon a livré 60 batailles3 et vécu avec une grande intensité. Étrangement, il en avait conscience, et si, à Sainte-Hélène, il a pu s’exclamer : « Quel roman que ma vie ! », il a dit aussi : « Que de peine à prendre pour avoir seulement une demi-­page dans l’histoire universelle ! »
Il se pourrait aussi que ces différents auteurs, au moment d’entamer l’écriture de leur livre sur Napoléon, aient été impressionnés, non par tout ce que l’on sait déjà de lui et donc par la difficulté de trouver quelque chose de nouveau à dire, mais plutôt par le fait que l’on en sache si peu, à la fois sur l’homme et sur la période de son règne. Il est déconcertant de penser que tant de livres (qu’il y en ait eu 200 000 ou 300 000) ont été consacrés à ce sujet et que tant de choses essentielles ont été négligées. Pour Alistair Horne, dont l’ouvrage richement illustré mérite une large audience, on ne s’est pas suffisamment penché sur ce paradoxe qui veut que Napoléon ait été à la fois un stratège militaire de génie et un homme dépourvu de tact politique et diplomatique. Pour Edward Whitcomb, trop peu de travaux ont été consacrés à l’histoire politique et administrative de la période napoléonienne, ainsi qu’aux institutions diplomatiques. David Chandler, bien que conscient de l’ombre écrasante de Napoléon qui plane sur ses pages, entend faire la lumière sur l’expérience individuelle des officiers qui ont vécu les batailles de l’intérieur. Simon Schwarzfuchs, lui, examine de façon inédite la manière dont Napoléon a tenté de changer le quotidien et les institutions religieuses des juifs français. Jeanne A. Ojala a exploité d’importantes archives familiales afin de découvrir les raisons qui ont poussé Auguste de Colbert, un officier de cavalerie, à rejoindre les rangs de Napoléon et de dépeindre l’enthousiasme et la lassitude de ceux qui ont participé à ses campagnes. (C’est d’autant plus intéressant que Colbert ne fait pas l’objet d’une entrée dans le dictionnaire de David Chandler.)

Ce qui ressort de l’analyse des batailles, c’est leur insignifiance intrinsèque. Ulm et Austerlitz, étudiées en détail par Alistair Horne, furent évidemment de grandes victoires. Napoléon avait de quoi jubiler : après avoir quitté Boulogne, son armée prit le contrôle de l’Europe en quelques semaines ; en trois mois, il avait anéanti la machine militaire la plus dangereuse jamais dirigée contre la France et sérieusement ébranlé les gouvernements autrichien, russe, prussien et britannique. Mais les rues de Paris avaient beau fourmiller de garçons de courses distribuant des tracts de propagande qui vantaient la grandeur de l’Empereur, et les notables obséquieux de la ville se préparer (comme toujours) à ériger des monuments à la gloire de leur chef, tout cela ne pouvait dissimuler la précarité de la situation. Avec des « si », on mettrait Paris en bouteille, mais reconnaissons toutefois que la liste des « si » dressée par Alistair Horne est très impressionnante. Napoléon faillit être capturé ou abattu à plusieurs reprises ; il y eut des erreurs notables dans les plans de bataille et la poursuite de l’ennemi ; bien souvent, les soi-disant coalisés furent désunis, mal informés des mouvements des uns et des autres, incapables de mettre en œuvre une stratégie concertée et orga­nisée, et donc promis à la défaite en dépit de leur supériorité sur le papier. En fin de compte, la marge de manœuvre de Napoléon était très faible.
Il prit des risques parce qu’il y était obligé. Si l’ennemi refusait de livrer bataille, il était perdu ; si la bataille était indécise, il était également perdu ; il n’avait donc d’autre choix que de rechercher un affrontement décisif qu’il gagnerait ou perdrait. Il ne s’intéressait guère à la tactique, et sa stratégie était sommaire. Hormis sa capacité à déplacer rapidement ses troupes – « Napoléon gagne ses batailles avec les jambes de ses soldats », avait-on coutume de dire –, il n’avait que deux stratégies. Il employait la première lorsque ses forces étaient inférieures à celles de l’ennemi : il s’arrangeait pour diviser les armées adverses et en affronter ensuite chaque partie l’une après l’autre, en bénéficiant à chaque fois de la supériorité numérique. Sa seconde stratégie lui servait lorsqu’il disposait de forces plus nombreuses : il encerclait alors l’ennemi, coupait ses lignes de communication et le contraignait à livrer bataille dans une position qu’il avait soigneusement choisie. De toute évidence, ces stratagèmes ne pouvaient pas suffire. Les coalisés apprirent rapidement comment les contrer, soit en refusant carrément de livrer bataille, soit en se repliant. À Sainte-Hélène, Napoléon se vantait de n’avoir, au cours de sa longue carrière, rien appris qu’il ne sût déjà au moment de sa première bataille. Et pour cause : c’était un général prévisible.

Et une fois la victoire remportée ? Invariablement, il apprenait l’effondrement économique de la France, la montée du mécontentement à Paris, le blocus et les victoires navales des Britanniques. Invariablement aussi, on le pressait de faire la paix et de se concilier au moins un de ses ennemis par une offre généreuse. Mais ses victoires le grisaient : une bataille comme celle d’Austerlitz lui donnait l’impression de régner en maître sur le cours des choses. Rien ne pouvait arrêter l’extension de l’Empire. Il continuerait à s’agrandir jusqu’à ce qu’il soit balayé. Napoléon ne pouvait rester à Paris assez longtemps pour célébrer la dernière victoire en date : la campagne suivante l’appelait déjà ; il repartait aussitôt. Ses parlementaires (qui n’en avaient que le nom) étaient convoqués à Paris et obligés d’y demeurer (à leurs frais) jusqu’à ce que l’Empereur revienne de ses guerres et de ses voyages, ce qui empêchait toute possibilité de réforme ou de progrès. Les victoires militaires ne réglaient rien et ne faisaient qu’engendrer d’autres batailles. « Tous les empires ont un terme », fit-il remarquer au général autrichien Mack, venu lui présenter sa reddition après la bataille d’Ulm. Mais savait-il seulement qu’il parlait du sien ?
Si Napoléon n’était pas, sur le champ de bataille, le joueur invétéré qu’on a parfois prétendu, il n’était pas non plus un autocrate irresponsable comme d’innombrables anecdotes le suggèrent. Edward Whitcomb montre comment Napoléon a contribué à créer une bureaucratie efficace qui n’a cessé de s’améliorer. On dit souvent que Napoléon a mis fin à la confusion et au chaos de la Révolution, mais cette affirmation est rarement étayée. Whitcomb, lui, entre dans les détails : son livre explique de quelle façon Napoléon a instauré la stabilité du personnel sans ­laquelle le ministère des Affaires étrangères ne pouvait fonctionner correctement. Malgré les bouleversements induits par les guerres incessantes, le renouvellement des effectifs suivit globalement un rythme normal. On établit des procédures qui furent respectées ; les fonctionnaires furent formés, et toutes les branches des différents services se professionnalisèrent.
Est-ce à dire qu’il faut abandonner un autre cliché très populaire lorsque l’on parle de l’Empire, celui de la « carrière ouverte aux talents » ? Si l’on entend par là que le plus humble des Français pouvait se hisser au sommet de l’échelle sociale grâce à ses seules capacités, cela n’a probablement jamais été vrai, sauf à l’époque où les guerres révolutionnaires catapultèrent de jeunes et brillants soldats aux postes de commandement (beaucoup, comme on le voit bien dans le dictionnaire, ont été injustement oubliés – Suchet en est un bon exemple). Mais si l’on entend par « carrière ouverte aux talents » la possibilité pour de jeunes gens d’être formés et, s’ils se révélaient compétents, de gravir progressivement les échelons, alors, oui, une telle chose était clairement possible sous l’Empire. Mais les heureux élus étaient issus d’un petit nombre de familles. Napoléon les connaissait et ne doutait pas de leur loyauté. Il s’agissait d’un gouvernement clientéliste dans lequel l’Empereur usait de ses pouvoirs pour promouvoir, récompenser, gratifier ou, tout simplement, corrompre. De ce point de vue, Napoléon était un Français très ordinaire, et son gouvernement était typiquement français.
Français ordinaire, Napoléon le fut à d’autres égards. Ses opinions étaient souvent partagées par bon nombre de ses compatriotes. Au sujet des juifs, il se fit l’écho de ceux (principalement dans l’est de la France) qui les considéraient comme des usuriers profitant des ventes de biens nationaux pour prêter de l’argent aux acheteurs à des taux exorbitants. Le gouvernement ne pouvait, selon lui, rester les bras croisés pendant que les juifs dépouillaient l’Alsace. Il s’opposait également à ce qu’ils soient considérés sur le même plan que les catholiques et les protestants puisque, selon lui, les juifs ne constituaient pas une religion mais une nation. Cette nation dans la nation était dangereuse, et l’Alsace, province frontalière, devait être protégée contre ces espions potentiels qui n’avaient pas de véritable attachement pour la France. Il proposa donc de prendre des mesures contre les juifs et leurs activités commerciales, de réduire leur nombre, de surveiller leurs écoles et leurs rabbins. Une fois de plus, l’existence d’une bureaucratie empêcha Napoléon de mettre en place une législation aussi radicale qu’il l’aurait souhaité. Le Conseil d’État voulait procéder de façon légaliste, et Napoléon, qui aimait négocier, accepta que les juifs envoient des représentants à Paris pour plaider leur cause. Il accorda par décret un sursis de paiement d’un an aux paysans de huit départements de l’Est qui avaient des dettes envers des juifs. La mise en application du décret fut confuse, et il semble que, dans certains cas, il ne fut pas appliqué ou que, s’il le fut, cela entraîna parfois des difficultés considérables.
Entre-temps, les délégués juifs étaient arrivés à Paris en juillet 1806 pour constater que rien n’avait été prévu pour eux, pas même des locaux où se réunir. Comme beaucoup ne parlaient pas le français, que d’autres ne parlaient que le français et pas l’allemand ni l’italien (il y avait parmi eux des représentants du royaume d’Italie) et que peu d’entre eux connaissaient les véritables opinions de Napoléon à leur sujet, l’Assemblée des notables juifs, comme on l’appela, prit un très mauvais départ. Une définition et une organisation nouvelles du judaïsme français émergèrent finalement de ce chaos, mais le mérite n’en revient pas à l’Empereur, contrairement aux apparences. Ce sont les historiens qui ont contribué à entretenir ce genre de légende, et nous devons être reconnaissants à ceux qui, aujourd’hui, la déconstruisent si brillamment.
Une autre légende à laquelle Whitcomb tord le cou veut que la défaite ­finale de Napoléon soit due à la détérioration de la qualité de son gouvernement et des conseils qui lui étaient prodigués. Cette idée repose pour l’essentiel sur la vieille hypothèse libérale selon laquelle la dictature (même la dictature bureaucratique ?) a quelque chose d’intrinsèquement mauvais et que le pouvoir corrompt inévitablement. Napoléon avait l’habitude de dire, lorsqu’il était Premier consul, que si l’on voulait bien manger il fallait aller chez le Deuxième consul (Cambacérès), que si l’on voulait mal manger il fallait aller chez le Troisième consul (Lebrun), mais que, si l’on voulait manger vite, il fallait aller chez le Premier consul ; et lorsqu’un jour on lui fit remarquer que le dîner durait depuis déjà vingt minutes, il répliqua que c’était le pouvoir qui tendait à corrompre. Ce commentaire résume cette légende. À la fin de son règne, Napoléon disposait d’une très bonne administration. Il recevait d’excellents conseils de la part d’excellents administrateurs, qu’on ne saurait comparer aux conseils sournois, ambigus et obscurs de Talleyrand, dont la réputation d’habile diplomate a été exagérée par des générations d’historiens. Séduits par ses saillies aristocratiques, si plaisantes à rapporter, ils ont pris pour argent comptant le portrait que l’intéressé avait dressé de lui-même. En réalité, Napoléon a souvent choisi d’ignorer les conseils avisés et fait preuve d’un manque d’intuition politique qui découlait des impératifs égoïstes de sa situation. Il lui fallait continuer d’aller de l’avant, garder l’initiative et apparaître comme le maître des événements.
Il s’en plaignait. À l’instar de son admi­rateur Auguste de Colbert, qui lui enjoignait : « Hâtez-vous, Sire, je n’ai que 30 ans, il est vrai, mais je suis déjà bien vieux », Napoléon n’a jamais cru à la pérennité de son empire. Raison pour laquelle il s’accrocha de façon si pathétique aux symboles de l’Histoire et de la stabilité. Colbert, tourmenté par la frustration, l’inconfort, la faim et l’épuisement, écrivait pendant ses campagnes à sa femme pour lui reprocher de ne pas avoir répondu à ses lettres, de ne pas lui avoir envoyé les bottes dont il avait désespérément besoin, d’être distante et silencieuse. Napoléon, vainqueur d’Austerlitz, écrivait à Joséphine : « Grande Impératrice, pas une lettre de vous depuis votre départ de Strasbourg. […] Ce n’est pas bien aimable, ni bien tendre ! […] Daignez du haut de vos grandeurs vous occuper un peu de vos esclaves. » Napoléon était en harmonie avec ses partisans. Mais ils vivaient comme sur une scène de théâtre, jouant une pièce aussi bâclée et artificielle que tragique. 

Douglas Johnson était un historien britannique éminemment francophile : après avoir fait une partie de ses études à l’École normale supérieure, il a épousé une Française et consacré de nombreux ouvrages à la France moderne. Il est décédé en 2005.

Cet article est paru dans The London Review of Books le 7 février 1980. Il a été traduit par Baptiste Touverey.

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Napoléon n’avait pas une haute opinion de son père. Il s’en souvenait comme d’un homme bon mais aussi comme d’un « homme de plaisirs » qui avait dilapidé la fortune familiale et joué au grand seigneur à Paris. Il sécha vite ses larmes lorsque Carlo-Maria de Buonaparte mourut en 1785, à l’âge de 38 ans, du même cancer de l’estomac qui devait l’emporter lui aussi en 1821, à 51 ans. Lorsque le conseil municipal de Montpellier lui demanda l’autorisation d’ériger un monument à Carlo, Napoléon, d’ordinaire prêt à saisir toute occasion d’élever sa famille, opposa son veto. En revanche, il vénérait sa mère, Letizia, dont il disait : « C’est à [elle] que je dois toute ma fortune et tout ce que j’ai fait de bien » et pour qui il créa le titre prestigieux de Madame Mère.
Ce portrait de Carlo est passé à la postérité, mais était-il fondé ? Le père était tout ce que le fils n’était pas : grand, beau et bon cavalier. (L’Empereur, lui, était ballotté en selle comme un navire en haute mer, ce qui rend d’autant plus impressionnants les milliers de kilomètres qu’il a parcourus lors de ses campagnes). Mais Carlo n’était pas un simple play-boy. Il travailla dur pour faire fructifier la fortune de sa famille : il grappilla quelques hectares supplémentaires de terres corses poussiéreuses afin d’arrondir l’héritage modeste de Letizia et lutta contre des cousins querelleurs pour obtenir plus d’espace dans le logement délabré qu’ils occupaient à Ajaccio. En 1772, grâce aux faveurs du gouverneur de Corse, le comte de Marbeuf, Carlo s’assura un siège de député à l’assemblée générale des États de Corse. Une rumeur tenace veut que l’un des frères de Napoléon, Louis, soit l’enfant de Marbeuf. Grâce à ce parrainage et à un lobbying diligent à Paris, Carlo parvint à faire reconnaître la fragile prétention de la famille à la noblesse et obtint une bourse royale pour que Napoléon puisse étudier, d’abord à l’École militaire de Brienne, puis à l’École militaire de Paris.
On peut difficilement concevoir deux environnements plus éloignés géographiquement et culturellement que les ruelles malodorantes d’Ajaccio et la splendeur baroque de l’École militaire – ouverte en 1780. Difficile également d’imaginer une éducation plus rigoureuse dans toute l’Europe : les classiques et le catéchisme catholique, mais aussi les mathématiques et la physique, la géographie et la musique, la philosophie et l’art des fortifications. Napoléon, un garçon ­timide, ombrageux et solitaire, avec un effroyable accent corse et des mèches de cheveux qui lui tombaient sur les oreilles comme un épagneul, fut malheureux parmi les cadets aristocrates et sûrs d’eux, prompts à le taquiner sur ses origines modestes. Mais il était un aussi féroce lecteur qu’il serait un féroce combattant, et il s’imprégna de la culture des Lumières, s’entichant aussi bien des rhapsodies larmoyantes de La Nouvelle Héloïse que de l’enivrante vision du Contrat social. Toute sa vie, il eut un goût pour le sentimental aussi bien que pour le brutal : les pages de son exemplaire des Souffrances du jeune Werther, conservé aujourd’hui à la Morgan Library de New York, ont été tournées si souvent qu’elles se détachent.
Tout ce qui deviendra plus tard le signe distinctif de son art de la guerre, Napoléon l’apprend sur les bancs de l’école : la formation en carrés, l’attaque concentrée sur le centre ennemi, la manœuvre dite « sur les derrières », le système de corps d’armée qui permet à une grande unité militaire d’être rapide et réactive. Il a lu le révolutionnaire Essai général de tactique du comte de Guibert, qui met l’accent sur l’importance de la vitesse, de la surprise, de l’esprit de corps et sur l’avantage de vivre sur le pays plutôt que de compter sur des dépôts de ravitaillement dans des villes fortifiées qu’il faut défendre. À cette formation il a apporté son propre génie de l’improvisation, son intense concentration, sa brillante lecture des cartes et des terrains, sa capacité à déployer des troupes et réquisitionner des provisions à une vitesse incroyable. Dès 1794, alors qu’il était commandant de l’artillerie de l’armée d’Italie, le général Pierre Jadart du Merbion lui écrivait : « Mon enfant, dressez-moi un plan de campagne comme vous seul savez le faire. » À 24 ans, il était général.
Napoléon était très favorable à la Révolution française et, en Corse, en septembre 1789, il avait distribué des cocardes tricolores et accroché au fronton de la maison familiale une bannière portant l’inscription « Vive la Nation ! Vive Paoli ! Vive Mirabeau ! » Mais quelle nation ? Il soutint d’abord Pascal Paoli, le fer de lance de l’indépendance corse, et rédigea un appel demandant l’expulsion de tous les Français de l’île. Mais il en vint bientôt à la conclusion que Paoli était trop mou et faisait trop confiance à la démocratie. Sa tendance à régler les affaires par la force était déjà évidente. Lors de l’élection du lieutenant-­colonel du bataillon des ­volontaires d’Ajaccio, en 1792, Napoléon engagea une poignée de bandits pour enlever l’un des commissaires électoraux, Giovanni ­Peraldi, susceptible de favoriser un candidat rival. Le frère de Peraldi affirma par la suite que la famille de Napoléon n’avait ­jamais eu « sous les divers gouvernements d’autre mérite que l’espionnage, la trahison, le vice, l’impudence et la prostitution ». Sitôt nommé lieutenant-colonel, Napoléon ordonna à ses troupes d’ouvrir le feu sur des civils lors d’une émeute à Ajaccio.
En 1793, l’Assemblée de Corse, réunie à Corte, la nouvelle capitale de l’île, publia une diatribe accusant les Buonaparte d’être des collaborateurs « nés dans la fange du despotisme et élevés sous les yeux et aux frais d’un pacha luxurieux » (le comte de Marbeuf) et les condamna « à une éternelle exécration et à l’infamie ». Letizia et sa progéniture s’enfuirent en France, dans la plus grande indigence. Napoléon ne tarda pas à déclarer avec indignation qu’il était et avait toujours été français, et il se mit à rudoyer tous ceux qui le traitaient de Corse. Son frère Lucien l’avait accusé l’année précédente, dans une lettre adressée à leur frère aîné Joseph, d’être un renégat potentiel et pire encore : « Il me semble bien penché à être tyran, et je crois qu’il le serait s’il était roi, et que son nom serait pour la postérité et pour le patriote sensible un nom d’horreur. »
C’est le grand mérite de la nouvelle biographie d’Adam Zamoyski, Napoléon. L’homme derrière le mythe, de mettre un point d’honneur à ne traiter son sujet ni comme un surhomme ni comme un monstre, mais comme le produit de son époque troublée :
« Bien qu’il ait fait preuve de certaines qualités extraordinaires, il était à bien des égards un homme très ordinaire. On peut difficilement attribuer du génie à quelqu’un qui, malgré ses nombreux triomphes, a présidé au pire désastre (du reste, entièrement auto-infligé) de l’histoire militaire et a détruit à lui seul la grande entreprise que lui et d’autres avaient eu tant de mal à mettre sur pied. »
En conséquence, Zamoyski accorde plus de place aux années de formation de Napoléon qu’à son règne, et beaucoup moins à ses campagnes militaires que d’autres biographes. Un instant d’inattention et vous manquerez la bataille d’Iéna, celle de Wagram est terminée avant que vous ne vous en rendiez compte, et même celle de Waterloo est réglée en quelques pages. À la place, Zamoyski nous livre un portrait saisissant de Napoléon en aventurier protéiforme, extérieurement plus sûr de lui qu’aucun autre, intérieurement toujours en train de se demander quand sa « bonne étoile » pâlira enfin. Le comte Louis Mathieu Molé, son ministre de la Justice qui deviendra président du Conseil sous Louis-Philippe vingt ans plus tard, dira de lui : « Le fait est qu’à ses yeux la vie humaine était une partie d’échecs – et les hommes, les religions, la morale, les affections, les intérêts, autant de pions ou de pièces qu’il faisait avancer, et dont il se servait selon l’occasion. »
Aussi indifférent aux personnes qu’aux principes, il pouvait travailler avec n’importe qui : avec des hommes honnêtes comme Molé et Alexandre Berthier, qui fut longtemps son chef d’état-major, mais aussi avec des fripons retors comme Charles Maurice de Talleyrand et ­Joseph Fouché, à qui il a pardonné à plusieurs reprises les complots perfides avec l’Angleterre et les royalistes. Il n’était pas vindicatif, simplement pragmatique. Lorsque Talleyrand lui suggéra d’être plus gentil avec la très critique Mme de Staël, qu’il avait fait interdire de séjour en France, il rétorqua : « Je ne sais pas faire preuve de bienveillance envers mes ennemis. La faiblesse n’a jamais mené nulle part. On ne peut gouverner que par la force. »
En tant que Premier consul, Napoléon n’était pas un roi qui a hérité de son titre par la grâce de Dieu ; il ne pouvait se reposer sur ses lauriers sous peine de les voir flétrir. Il avait besoin de guerres perpétuelles et d’une série interminable de victoires pour asseoir sa légitimité. Il ne pouvait se risquer à faire des concessions. En juin 1813, alors que tous ses conseillers l’imploraient de signer un traité de paix avec les armées liguées contre lui, il déclara à Metternich, l’ambassadeur ­autrichien, qu’il ne pouvait céder un pouce de terrain : « Vos souverains, nés sur le trône, peuvent se laisser battre vingt fois et rentrer toujours dans leurs capitales : moi je ne le puis pas, parce que je suis un soldat parvenu. »
Il avait hérité cette attitude du Direc­toire, le comité qui avait gouverné la France de 1795 à 1799 et maintenu les finances du pays plus ou moins à flot en faisant la guerre et en exigeant d’énormes réparations des vaincus. Napoléon allait accentuer encore la pression. Le traité de Tilsit de 1807, par exemple, imposait à la Prusse non seulement de céder une large portion de son territoire, mais également de verser une indemnité de guerre de 600 millions de francs par an et d’entretenir une armée d’occupation française de 150 000 hommes. Après chaque victoire, des chefs-d’œuvre de l’art occidental étaient apportés à Paris pour orner ce qui devait devenir la capi­tale de l’Europe unie.

Au sein de l’Empire, les dépenses pour éblouir le peuple ne cessaient de croître. Le budget national passa de 859 millions de francs en 1810 à plus de 1 milliard l’année suivante, le budget de l’armée de 377 millions à 500 millions. La cour de Napoléon accaparait une plus grande part des revenus de l’État que celle de Louis XVI – et pourtant Marie-Antoinette avait été surnommée « Madame Déficit ».
Les défenseurs de Napoléon lui attribuent le mérite du style Empire ; après tout, il insistait pour tout régenter, du papier peint du château de Malmaison aux costumes de la Comédie-Française. Mais le renouveau classique, auquel appartiennent le style Empire et avant lui le style Directoire, battait déjà son plein dans toute l’Europe depuis un demi-siècle. Certains chercheurs soutiennent que le néoclassicisme français avait atteint son apogée avant l’entrée en scène de Napoléon.
Certes, le catalogue de l’exposition « Napoléon. La maison de l’Empereur » est aussi somptueux que le sujet le réclame1. Sur les assiettes en porcelaine de Sèvres, les pendules, les carrosses et les toiles, on voit la silhouette de plus en plus rondouillarde de l’Empereur drapée d’hermine et de velours, de robes brodées d’abeilles impériales. On découvre aussi les vieux briscards qui l’ont accompagné sous la mitraille et dans ses marches effrénées, pomponnés et à peine reconnaissables sous leurs titres flambant neufs, toujours liés à des duchés ou à des victoires à l’étranger – Wagram, Vicence, Montebello – car Napoléon ne voulait pas donner l’impression de ressusciter la noblesse d’Ancien Régime. Versailles était d’ailleurs le seul palais où il évitait de mettre les pieds. Mais l’enthousiasme des textes du catalogue peine à dissimuler le fait que, hormis quelques portraits d’Ingres et d’Isabey, les œuvres exposées sont médiocres et le décor surchargé. On a le sentiment d’avoir affaire à une tradition artistique sur le déclin, et, au bout d’un moment, l’écarlate et l’or deviennent franchement indigestes.
Un argument plus intéressant en faveur de la grandeur de Napoléon, avancé avec éloquence par Andrew Roberts dans Napoleon. A Life mais dont Zamoyski ne fait pas grand cas, est que « les masses de granit » qu’il se vantait d’avoir jetées pour ancrer la société française – son Code civil tant admiré, la centralisation administrative, la Cour des comptes, les lycées, les travaux publics – ont survécu jusqu’à ce jour. Certes, mais ne cesse-t-on pas de répéter, depuis l’époque de De Gaulle, que cette centralisation excessive est un fil à la patte du progrès ? Par ailleurs, de nombreuses réalisations de Napoléon trouvent leur origine non pas dans la Révolution mais dans l’Ancien Régime : les grandes écoles, par exemple (pensez à la superbe éducation qu’il a reçue).
Curieusement, le mythe de Napoléon a véritablement émergé au milieu du xixe siècle. Le livre de Zamoyski s’arrête à la mort de l’Empereur, mais Philip ­Dwyer, dans Napoleon. Passion, Death and Resurrection, 1815-1840 – le dernier volume de sa splendide biographie, paru en 2018 –, raconte l’histoire de sa renommée posthume : tout d’abord, la publication en 1823 du Mémorial de Sainte-Hélène, récit des conversations presque quotidiennes d’Emmanuel de Las Cases avec Napoléon lors de son second exil dans l’une des îles les plus isolées du monde. Ce livre fut l’un des plus grands best-sellers du xixe siècle2. Puis, en 1840, le président du Conseil Adolphe Thiers organisa le rapatriement du corps de Napoléon à Paris, événement qui rassembla près de 1 million de Parisiens. Un tombeau fut construit sous le dôme de l’église des Invalides, où le cercueil de l’Empereur fut déposé en 1861. Rien de tout cela n’aurait été possible sans l’invention – ou la réinvention – d’un Napoléon alternatif. Exit l’ogre Boney des caricaturistes anglais, le dictateur belliciste ; voici le libérateur pacifique dont le seul désir était d’apporter la démocratie à toute l’Europe, Angleterre incluse, et qu’on avait exilé sur un rocher désolé de l’Atlantique Sud pour tout remerciement.

On ne peut que s’émerveiller de la façon dont Napoléon réinvente son passé devant Las Cases, un petit courtisan qui l’avait suivi à Sainte-Hélène et lui servait de secrétaire. L’ex-empereur explique être revenu de son premier exil sur l’île d’Elbe en homme nouveau. S’il avait pu mener à bien son projet d’envahir l’Angleterre, tout se serait déroulé à merveille :
« Je possédais la meilleure armée qui fût jamais, celle d’Austerlitz, c’est tout dire. Quatre jours m’eussent suffi pour me trouver dans Londres ; je n’y serais point entré en conquérant, mais en libérateur […]. La discipline de mon armée eût été parfaite, elle se fût conduite dans Londres comme si elle eût été encore dans Paris : point de sacrifices, pas même de contributions exigées des Anglais ; nous ne leur eussions pas présenté des vainqueurs, mais des frères qui venaient les rendre à la liberté, à leurs droits. »
Vraiment ? Sur l’île d’Elbe, Napoléon n’avait donné aucun signe d’une conversion aussi spectaculaire à la démo­cratie et à l’État de droit. Il bavardait aimablement avec les visiteurs anglais curieux et avec son nonchalant geôlier, sir Neil Campbell (qui passait la moitié de son temps à Florence auprès de sa maîtresse), rénovait des fermes, rassemblait une bibliothèque digne de ce nom, prenait des bains de mer, jouait aux cartes avec Madame Mère (qui le démasquait toujours quand il trichait) et s’offrit une fête pour son quarante-­cinquième anniversaire à grand renfort de feux d’artifice.
Dans The Invisible Emperor (2018), Mark Braude brosse un tableau charmant de ce bref exil et montre combien Napoléon restait à l’affût d’une occasion de s’échapper et de faire son retour. Seul le cynique Fouché avait compris que Napo­léon sur l’île d’Elbe était comme « le Vésuve à côté de Naples » et prédit avec justesse : « Le printemps nous ramè­nera Bonaparte, avec les hirondelles et les violettes. »
Rien, cependant, dans le livre de Braude ne suggère que Napoléon était en train de repenser sa philosophie politique. S’il admettait des erreurs, elles relevaient de la tactique militaire. Même après Waterloo, lorsqu’il revint à l’Élysée bouillonnant de rage, il menaça d’imposer la loi martiale et une dictature temporaire. L’idée d’une conversion sincère à la démocratie libérale n’a aucun sens.
N’avait-il pas, après tout, violé la Constitution tant et plus ? Le 13 vendémiaire (5 octobre 1795), il aida le Directoire à truquer les élections et à disperser la foule en colère avec une « bouffée de mitraille », ce qui lui valut le surnom de « général Vendémiaire ». Il participa également à l’organisation par le Directoire du coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797). Deux ans plus tard, il s’empara du pouvoir lors du célèbre 18 Brumaire, et, en 1804, ce fut au tour de la couronne impériale. En 1813, lorsque le Corps législatif, en temps normal si docile, vota l’impression d’un texte critique envers sa politique militaire désastreuse, il fit saisir le texte, le mit au pilon et décréta l’ajournement du Corps législatif. Enfin, il y eut le coup d’État final après son retour de l’île d’Elbe, qui inaugura les Cent-Jours.
Le seul héritage indiscutable de Napo­léon, c’est bien celui-là : le coup d’État comme réflexe dès que l’on proclame « la patrie en danger ». Son neveu Louis Napo­léon a tenté deux coups d’État avant de faire mouche au troisième ; de Gaulle en est à deux ou trois (selon que l’on compte ou non ses manœuvres avortées après la défaite en Indochine). L’effet a été d’amoindrir l’autorité du Parlement et de la loi et de renforcer le prestige, la taille et la puissance de l’armée. Napoléon n’a pas inventé le service militaire obligatoire, qui est une initiative de la Révolution, mais il s’en est servi pour engloutir chaque année de nouvelles recrues et parvenir à réunir la chair à canon nécessaire à chacune de ses campagnes, malgré les pertes énormes, les désertions généralisées et les refus de la conscription. Il a également exporté la conscription dans les régions qu’il a conquises, comme l’Italie du Nord.

Toute nation qui se respectait était censée être une nation en armes, toute guerre une guerre populaire, et donc une guerre à outrance. Pour de Gaulle, la reconstruction du pays ­devait commencer par l’armée, car « le corps militaire est l’expression la plus complète de l’esprit d’une société ». À l’inverse, Wellington n’a jamais cessé d’être profondément sceptique quant à la place d’une armée permanente en Grande-Bretagne :
« C’est un élément exotique en Angleterre, qui ne figure pas dans l’ancienne Constitution du pays ; requis, ou supposé requis, uniquement pour la défense de ses possessions étrangères, détesté par les habi­tants […]. C’est un mal nécessaire […] et nous serions fous d’en faire un animal de compagnie. »
Comment se fait-il que la moitié de l’intelligentsia européenne – Byron, Shelley, Goethe, Heine, Hazlitt, Manzoni, Nietzsche – ait été une fervente admiratrice de Napoléon ? [Lire « Un mythe allemand », p. 27.] Lorsque l’Empereur traversa Iéna à la veille de la bataille de 1806, où l’armée prussienne allait se faire écraser, Hegel l’aperçut par la fenêtre de son bureau et écrivit à un ami qu’il venait de voir « l’Empereur, cette âme du monde, sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c’est effec­tivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s’étend sur le monde et le domine. » Ce qui enivrait les napoléoniens, c’était l’impression de toute-puissance que dégageait leur héros. Très peu d’intellectuels qui l’admiraient le désavouèrent lorsque l’étendue de son cruel égoïsme devint évidente, et qu’on ne put ignorer le nombre de ses victimes – 3 millions de morts en Europe, à moins que ce ne soit 5 millions ? Beaucoup de ses adorateurs britanniques ont pleuré Waterloo comme un deuil personnel [lire « Une passion anglaise », p. 34]. Ils semblaient oublier que ces petites républiques idéalistes fondées dans le sillage de la Grande Armée étaient devenues, comme le dit le personnage d’Anna Scherer au début de Guerre et Paix, « des apanages, des domaines de la famille Buonaparte ».
La propagande a été cruciale pour le succès durable de Napoléon. Le flux de bulletins et d’ordres du jour qu’il publiait formait un récit continu, inlassablement optimiste et vantard, exagérant sans vergogne les pertes de l’ennemi et minimisant les siennes. Ces bulletins font partie intégrante de la légende napoléonienne et sont fréquemment republiés par des passionnés qui ferment allègrement les yeux sur leurs mensonges.
Dwyer, lui, ouvre sa biographie en trois volumes en montrant à quel point le ­récit de la victoire de Napoléon à ­Arcole, lors de sa campagne d’Italie, fut enjolivé. ­Selon la légende, il aurait saisi le drapeau du porte-étendard et pris d’assaut un pont étroit sous une pluie de balles autrichiennes. La scène a été immortalisée non seulement dans les bulletins mais aussi dans d’innombrables gravures et tableaux, notamment le ­Bonaparte au pont d’Arcole d’Antoine Gros. En réa­lité, Napoléon a commencé à traverser le pont avec le drapeau, mais ses troupes ont refusé de le suivre et ont été repoussées par le feu autrichien. Dans le chaos de la retraite, il est tombé dans un fossé rempli d’eau où il a manqué de se noyer. Deux autres géné­raux ont dû être envoyés pour prendre Arcole par l’arrière. Personne n’a tra­versé le pont. En privé, les commandants français blâmèrent la lâcheté de leurs hommes et louèrent la combativité des Autrichiens. Le caractère mensonger des bulletins devint si notoire que l’expression « mentir comme un bulletin » entra dans le langage ­populaire.
Tous les hommes politiques se soucient de leur communication, mais Napo­léon a été un pionnier de l’approche « vingt-quatre heures sur vingt-quatre ». Cela découlait de son impatience, qui était à la fois sa qualité principale et son pire défaut. Il prenait cinq minutes pour petit-déjeuner, à peine quinze pour dîner et, dit-on, cinq pour le sexe. À la guerre, son mot d’ordre était : « Activité, activité, vitesse ! » Il était impatient de passer à la grande bataille suivante et n’hésitait pas avant de charger : « On s’engage, et puis on voit. » Il fut déconcerté, surtout en Russie, que des adversaires battent en retraite ou attendent le bon moment avant de donner l’assaut. Pourtant, le tsar avait averti son émissaire de la tactique qu’il comptait employer : « L’espace est une barrière. Si, après quelques défaites, je bats en retraite en entraînant la popu­lation dans mon sillage, si je laisse au temps, à la nature sauvage et au climat le soin de me défendre, je peux encore avoir le dernier mot. »
Napoléon n’écouta pas et fut choqué de constater que les Russes avaient incendié leurs propres villages et villes, obligeant ses troupes à fourrager de plus en plus loin pour trouver quelque chose à manger. Il accusa le climat, comme le feront ensuite des historiens compatissants, mais la Grande Armée avait déjà perdu des centaines de milliers de soldats et de chevaux avant la première chute de neige. Le principe de Guibert, qui consistait à se ravitailler localement, ne fonctionnait tout simplement pas dans ces contrées pauvres et peu peuplées. Mais ce n’était pas le premier échec de Napoléon dans le domaine de l’intendance : en Italie, ses troupes n’avaient pas de bottes, et en Syrie, pas d’eau.
Il ne prit pas non plus le temps de constater que la nature de la guerre était en train de changer. Les armées des deux camps devenant de plus en plus importantes, passant de quelques dizaines de milliers d’hommes lors des campagnes d’Italie à des centaines de milliers à Leipzig et à Waterloo, sa ­tactique consistant à fondre par surprise sur l’ennemi ne fonctionnait plus. En outre, les généraux adverses ne cessaient de s’améliorer, beaucoup d’entre eux ayant beaucoup appris de Napoléon lui-même. Les batailles n’étaient plus l’affaire d’un glorieux après-midi, mais s’étalaient sur plusieurs jours d’usure, de repli, de lente et terrible boucherie. Son manque de réflexion est particulièrement flagrant lorsqu’il envahit l’Espagne et le Portugal, puis, quatre ans plus tard, la Pologne et la Russie. Deux décisions mal avisées, censées faire respecter le blocus continental et affamer la Grande-­Bretagne pour la soumettre.
Le blocus – ou système – continental était un héritage de la Convention, qui avait gouverné la France de 1792 à 1795, et du Directoire, qui lui avait succédé. La dernière victoire des partisans du ­libre-échange avait été le traité anglo-­français de 1786, à l’instigation du Premier ­ministre de Grande-­Bretagne ­William Pitt – un fervent disciple d’Adam Smith.
Mais la plupart des élites françaises étaient des mercantilistes convaincus, persuadés que l’afflux de marchandises britanniques avait contribué à la faillite du pays et à la Révolution. Le blocus était la seule solution. Bertrand Barère, l’une des têtes brûlées du Comité de ­salut public, avait déclaré : « Mettons en place un acte de navigation et l’île des boutiquiers sera ruinée. » C’est peut-être par Barère que Napoléon entendit pour la première fois l’expression « nation de boutiquiers », dont la paternité est géné­ralement attribuée à Adam Smith. L’Empereur avait un exemplaire de La Richesse des nations, mais, s’il l’a lu, il ne l’a certainement pas assimilé.

En 1796, le Directoire renforça le blocus, si bien que, lorsque Napo­léon mit officiellement en place son système continental dix ans plus tard, il ne fit que prolonger une politique existante. La paix d’Amiens, signée entre la France et la Grande-­Bretagne en 1802, ne pouvait durer, car aucune des parties n’envisageait d’y adjoindre un accord commercial. Pour paraphraser le stratège prussien Carl von Clausewitz, les campagnes napoléoniennes ne furent jamais qu’un prolongement des guerres commerciales par d’autres moyens. Il ne pouvait se permettre d’offenser ses principaux soutiens : les durs à cuire qui avaient fait main basse sur les biens de l’Église et de l’aristocratie lors de la Révo­lution. Dans le serment prononcé lors de son sacre, Napoléon s’engageait à faire respecter « l’irrévocabilité des ventes des biens nationaux ». De même, la Constitution du Consulat de 1799 avait été fondée « sur les droits sacrés de la propriété, de l’égalité, de la liberté. » Dans cette nouvelle suprématie bourgeoise, adieu la fraternité.
Concrètement, la France n’était pas en mesure de faire respecter le blocus. Même avant Trafalgar, la marine britannique, mieux équipée, régnait sur les mers. Comme se gaussait le chancelier Thomas Erskine à la Chambre des lords, « Napoléon aurait tout aussi bien pu déclarer la Lune en état de blocus. » Le système continental se révéla être un autoblocus, qui eut toutes les conséquences habituelles du protectionnisme : explosion de la contrebande, essor du marché noir, où étaient impliquées des personnalités haut placées (la propre cour de Napoléon, Joséphine incluse), et recherche éperdue de substituts aux importations – l’Empereur accueillit la betterave sucrière comme une panacée. Fatalement, les recettes douanières de la France s’effondrèrent, passant de 51 millions de francs en 1806 à 11,5 millions en 1809. Pour tenter de renflouer les caisses, Napoléon proclama un « nouveau système » de licences, fort complexe et similaire à celui qui existait déjà en Angleterre.
Zamoyski s’efforce de reconnaître à Napoléon quelques bonnes intentions, tout en détaillant l’ampleur des ­dégâts qu’il a causés à tout un continent pendant deux décennies. À la lecture de sa biographie, j’éprouve en fin de compte la même sensation qu’en lisant le best-seller beaucoup plus admiratif d’Andrew Roberts ou la trilogie férocement caustique de Philip Dwyer. On perçoit soudain un vide étrange dans le cœur de Napoléon, une absence de but réel au-delà de la conquête et de la conservation du pouvoir. À quoi servent exactement ses armées qui piétinent le sable de Syrie et la neige de Russie ? ­Jamais l’expression « ego trip » n’a semblé plus appropriée. 

Ferdinand Mount est un essayiste, romancier et chroniqueur britannique. De 1991 à 2002, il a été rédacteur en chef au Times Literary Supplement. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont aucun n’a été traduit en français.
Cet article est paru dans The New York Review of Books le 4 avril 2019. Il a été traduit par Baptiste Touverey.

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